Jeune Fille de l’eau (La)
Lady in the Water
États-Unis, 2006
De M. Night Shyamalan
Scénario : M. Night Shyamalan
Avec : Cindy Cheung, Sarita Choudhury, Paul Giamatti, Bryce Dallas Howard, M. Night Shyamalan, Jeffrey Wright
Durée : 1h49
Sortie : 23/08/2006
Cleveland Heep travaille comme gardien et homme à tout faire d’un immeuble où sa vie semble s’être arrêtée. Tout bascule le soir où il découvre une mystérieuse jeune fille dans la piscine de la propriété.
LE POIDS DE L’EAU
Mauvais œil dans Le Village où une pluie déshabille les personnages de leur armure de fortune dans les bois étrangers, effroi irraisonné dans Incassable où la piscine est un gouffre sans fin, arme ambiguë dans Signes, l’eau chez Shyamalan est le berceau du fantastique, étang trouble et inquiétant comme symbole du surnaturel. La Jeune Fille de l’eau ne tourne plus autour du bassin, et s’y plonge d’ailleurs directement pour y repêcher sa sirène, dont l’apparition tonne les trois coups du mystère. "On ne vous dit jamais qui vous êtes", entend-on au détour d’une réplique qui constitue la clef du cinéma de Shyamalan et de son fantastique en particulier. Paresseusement limité à sa mécanique de twists, le fantastique chez le réalisateur est affaire de point de vue, épousant les doutes identitaires de personnages à la recherche d’une place ou d’un rôle qu’ils ont en eux sans le savoir (Bruce Willis dans Sixième sens et Incassable, la famille de Signes); à travers des films construits vers cette révélation plutôt que sur. Une façon de se servir du surnaturel pour toucher à ce qu’il y a de plus intime – le périple extraordinaire est toujours une quête intérieure. Un sentier qu’emprunte à nouveau le dernier film du réalisateur.
RENAISSANCE
Le Village, son chef d’œuvre, marquait un envol certain dans cet art de lier le merveilleux à la nudité des sentiments, à travers son histoire d’amour d’une pureté virginale. Une épaisseur émotionnelle inédite, bouleversante, que Shyamalan creuse dans sa Jeune Fille de l’eau, où les blessures du personnage de Giamatti (parfait) s’exposent pudiquement à la lumière du surréel. Mais, comme le déclare l’un des locataires, "L’homme mérite t-il d’être sauvé?", quelques images de guerre à la télévision en pointillés. Le réalisateur est conscient de son évolution personnelle: "L'idée de ce film m'est venue en même temps que celle du Village, mais j'étais alors d'humeur bien plus sombre. Le Village est l'expression des questions que je me posais alors. Jusqu'où suis-je prêt à aller pour protéger ma famille? Irais-je jusqu'à fuir la société? Ferais-je des choix douteux? Je n'étais pas encore mûr pour délivrer le message d'espoir de La Jeune Fille de l'eau". La tragédie du Village reposait sur une utopie déchue, un mensonge qui niait le réel pour supporter sa cruauté, enfer définitivement pavé de bonnes intentions. La Jeune Fille de l’eau, qui marche également sur l’idée d’une communauté fermée, enclos duquel la caméra ne sortira jamais, prend l’envers de ce regard désabusé avec une humanité désarmante.
IN THE LAND OF FAIRIES
Un oracle dans les mots croisés ou dans des paquets de céréales, des apôtres en lycra rose au bord d’une piscine ou au seul bras droit bodybuildé – le prodige chez Shyamalan tient dans cette conviction de conteur prêt à vous faire prendre des vessies pour des lanternes, rendant crédible la plus absurde des histoires à dormir debout. Les monstres séculaires sont tapis dans le jardin, et les sauveurs habitent l’appartement d’à côté: l’étrange est partout, comme cette foi en chacun des personnages anonymes, une foi qui touche davantage à l’humanisme qu’au sacré (et dont Signes, plus directement ancré dans la religion, n’est qu’une variante). La Jeune Fille de l’eau s’inscrit, dès son prologue, dans le conte et le folklore, mais avec un respect scrupuleux, une innocence dévêtue de tout cynisme. Une bedtime story, genre désormais réservé aux enfants, mais racontée ici avec le premier des degrés. Se déploie alors la légende, histoire de grand-mère irascible prise peu à peu au sérieux, à la mythologie excitante car son bestiaire est surprenant et touffu. Après avoir revisité les mythes du fantôme, du super héros, des extra-terrestes et des bois hantés, Shyamalan écrit avec liberté son conte de fées à lui et l’ajoute à son travail de relecture des grandes figures fantastiques.
CONTE DE CINEMA
Une liberté qui ne fait que s’affirmer de film en film. Après les acrobaties du Village, La Jeune Fille de l’eau emprunte un même fil ténu entre sublime et ridicule, mais toujours du bon côté. Ce conte-là requiert une certaine innocence, pas une candeur niaise aux oreilles de Mickey plantées sur la tête, mais une ingénuité à croire en l’impossible. Non sans distance, voir la scène où Giamatti se poste sur le canapé, du lait dans la barbe, singeant le gamin prêt à entendre son histoire. Mais pendant que Shyamalan se débarrasse du cynisme en l’étripant littéralement dans ses sous-sols (une parenthèse bouffonne confirmant que le film peut aller où il veut avec succès), le conte prend toute sa dimension et la foi est récompensée par un sublime crescendo. L’apparition proprement fabuleuse des Tarturic, le vol de l’aigle ou le plan sous-marin laissent éclater toute la poésie du cinéaste, un fantastique aérien où le mystique se fond dans le quotidien. Cookbook imparable à la main, Shyamalan, dont les talents de metteur en scène, ici confirmés, surpassent ceux de la quasi intégralité de ses confrères hollywoodiens, poursuit son sans-faute malgré quelques embûches – quelques ralentissements dans une construction minutieuse qui poussent à se demander si le chapelet d’énigmes va mener quelque part, avant d’en découvrir, émerveillé, la magnifique destination.