Jeepers Creepers 2, Le Chant du diable
États-Unis, 2002
De Victor Salva
Scénario : Victor Salva
Avec : Jonathan Breck, Garykayi Mutambirwa, Eric Nenninger, Ray Wise
Durée : 1h44
Sortie : 04/02/2004
Tous les 23 ans, une bête surgie des enfers s’en va dévorer sa part de chair fraîche 23 jours durant. Au bout du 22ème, le monstre entend bien finir son cycle en beauté.
A LA CROISEE DES CHEMINS
Jeepers Creepers 2 ne perd pas de temps et charcute le nerf tant qu’il est encore à vif. Le récit se passe donc le lendemain des événements relatés dans le premier épisode. Pourtant, d’un jour à l’autre, bien des choses ont changé. Jeepers Creepers, premier du nom, usait des cordes du genre dans un souci d’efficacité maximale, étalant à merveille chaque situation pour en récolter les fruits horrifiques les plus insidieux, ceux d’une peur qui s’installe plutôt que d’une frayeur qui sursaute, ceux de la nuit infinie et de la noirceur sans phare. Aucun second degré et une équation minimale: deux jeunes gens, une rivière de goudron, un no man’s land. Le conte de fée dans toute sa cruauté, ses frères et sœurs perdus sur le chemin de la maison, ses vieilles aux chats, ses diseuses de bonne aventure, l’ombre inquiétante des arbres, et une mélodie désuète qui annonce l’horreur. Mais le conte s’est refermé et la page est tournée. Le nouveau récit est plus brut (exit les longues scènes tendues), plus purement spectaculaire, et encore plus personnel. Si le premier épisode était un conte aux accents homosexuels, Jeepers Creepers 2 lève le doute et érige son monstre en figure d’allégorie gay. Ou comment Victor Salva s’en va revêtir le costume de son propre monstre.
YOU ARE WHO YOU EAT
Salva et ses déboires privés, et la toile blanche comme exorcisme. L’horreur y est purement sexuelle, enfant de la même pulsion. Le monstre enfile du jeune garçon dans Jeepers Creepers, soit: le coming out consommé, le sérieux peut commencer. Salva renverse ainsi un cinéma horrifique à perspective hétérosexuelle, avec ses pénétrations diverses de nymphes pulpeuses, en odyssée homosexuelle à codes. Le monstre est blagueur et s’en joue avec une joyeuse ironie. Le car est rempli de jeunes joueurs de basket-ball prêts à consommer, il est d’ailleurs conduit par une camionneuse virago comme groom à la sexualité ambiguë. Les pom-pom girls sont rapidement mises de côté, ce qui intéresse conjointement Salva et son monstre, c’est la chair masculine. Complicité virile de la pause-pipi, torses nus et musclés offerts au soleil, amuse-gueules sur le car, dégaines taillées pour des couvertures de Têtu, la galerie gay ouvre son rideau. Le monstre lèche la vitrine et son appétit ne fait plus guère de doute quant à sa nature avant tout charnelle - le miroir est d’ailleurs quasi renversé lorsque la désignation des victimes par le mangeur tourne à l’outing éhonté. Salva filmait il y a 8 ans La Nature de la bête et ses obsessions n’ont que peu changé depuis. Sous l’apparence simplette d’une suite à frissons, il y a ce désir intime de continuer à peindre les ombres du monstre (celui de son double et de l’abus sexuel comme sommet d’horreur), et cette belle volonté d’auteur d’explorer un genre pour en faire circuler le sang.
CRASH
Cela étant dit, le sexe et ses volutes sont une chose, l’action et son adrénaline en sont une autre – et il faut bien nourrir le public. Jeepers Creepers 2 devient ainsi un véritable Creeper Show, Salva ayant bien compris quelle était la star du filon. Son identité ayant déjà été révélée dans le premier film, il n’y avait aucune raison pour jouer sur ce tableau-ci une nouvelle fois. Salva ouvre ainsi sur un champ de Creepers pour mieux pointer la nature christique (du moins picturale) de son icône, ouverture sanctifiée pour un monstre dont les talents seront déployés au fil des minutes, le réalisateur exploitant à merveille l’aspect mutant de la bête (digestion et assimilation des "aliments", la régénération etc.). Pourtant, ce grand carnaval constitue à la fois la force énergique et inventive autant que la faiblesse frustrante du film. L’enthousiasme de Salva ne fait pas de doute, mais il semble avoir oublié que la tôle froissée ne fait peur à personne, tandis que les divers traitements de la chair ont eu hier encore leur effet. L’humour courageusement contourné lors du premier volet fait quelques incursions parfois efficaces, mais qui participent à éteindre l’engrenage de la peur. En somme, la terreur tendue du premier contre l’énergie brute du deuxième, histoire de détourner l’attention de la véritable horreur, celle qui reste dans l’ombre mais dont on perçoit malgré tout les lointains hurlements.