Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc
France, 2017
De Bruno Dumont
Durée : 1h45
Sortie : 06/09/2017
Domrémy, 1425. Jeannette n’est pas encore Jeanne d’Arc, mais à 8 ans elle veut déjà bouter les anglais hors du royaume de France...
SACRÉE JEANNE
Qui a peur du ridicule ? C'est une question que nous posions au sujet de Ma Loute, le précédent long métrage de Bruno Dumont. Qui a peur du ridicule ? Certainement pas le cinéaste qui, avec la série lunaire P'tit Quinquin puis avec la folie burlesque de Ma Loute, opérait déjà un spectaculaire changement de ton dans sa filmographie. Vous pensiez Quinquin et Ma Loute déjantés ? Attendez de voir Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc, qui constitue probablement parmi ce qu'on a vu de plus fou ces dernières années sur un écran de cinéma. « Pourquoi tu fais ça ? », questionne t-on rapidement au début de Jeannette. Ce n'est certainement pas une question que le film, au geste ultra-radical, se pose.
Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc ressemble à un pari totalement surréaliste : explorer la figure de Jeanne d'Arc (ici, ses jeunes années) à travers la langue de Charles Peguy, le tout chanté (en improvisant des mélodies) et dansé. Dansé, pas n'importe comment : c'est un peu comme si les majorettes de P'tit Quinquin s'étaient mises au headbang tous cheveux dehors. Jeanne sur du métal ? Au-delà de la figure récupérée par les nationalistes, il y a en effet sous le regard de Dumont une certaine dimension punk chez cette jeune fille, aussi punk que le jusqu’au-boutisme du réalisateur lui-même. Bruno Dumont filme l'improbable, les préoccupations théologiques d'une gamine bergère de 8 ans. C'est une questionnement mystique, motif récurrent de sa filmographie, c'est aussi un jeu d'enfants, filmé avec la simplicité et le dénuement qui lui sont inhérents.
La langue de Peguy ressemble à une course d'obstacles pour les jeunes actrices. Peu importe : d'abord la musique permet d'aller au-delà des mots et de leur sens, et le film assume les imperfections de la prise de son directe (cette comédie musicale-là n'est pas tournée en playback). Le décalage est permanent, parfois jusqu'à l'embarras (les passages hip-hop sur mouvements de tecktonik font plisser les yeux), mais le film est suffisamment vivant et extraterrestre pour ne pas être écrasé par son sérieux (les répliques les plus enflammées sont souvent interrompues et désamorcées par un bêlement tranquille de chèvre). Ecrasé par son concept, le long métrage l'est peut-être un peu plus, car si le film se regarde les yeux écarquillés, il est aussi parfois épuisant et pénible. Mais quelque chose pourtant se passe à l'écran, quelque chose d'inédit et de fou, comme si Thérèse de Cavalier rencontrait Perceval le Gallois de Rohmer sur une dune qui rend dingue ; c'est une figure qu'on croit connaître par cœur et qui ici, observée dans son mystère, sa genèse, en construction, ne ressemble à rien de connu.