Jean Rollin, le rêveur égaré
France, 2010
De Damien Dupont, Yvan Pierre-Kaiser
Musique : Philippe D'Aram
Durée : 1h18
Qui était Jean Rollin ? Un homme qui a côtoyé pendant son enfance certains des plus grands intellectuels du XXe siècle. Un artiste qui a collaboré avec Marguerite Duras pour son premier film. Un réalisateur à la carrière singulière et unique en son genre dans le cinéma français, avec des films ouvertement fantastiques, surréalistes, poétiques - déconcertants. Un cinéaste assassiné depuis toujours par la critique mais qui commence, enfin, à profiter d’une certaine reconnaissance en France, alors que de nombreux fans le vénèrent déjà en Europe et aux États-Unis. Jean Rollin a signé une œuvre marginale et méconnue traversée par la mort et la nostalgie, et dont la principale obsession était le temps, celui de l’errance et du rêve. Disparu brutalement l’hiver dernier pendant le montage de ce documentaire, Jean Rollin apporte un témoignage précieux sur une carrière d’indépendance et de franc-tireur qui force le respect en ces temps de tiédeur et d’uniformisation.
PAPA WAS A ROLLIN STONE
Décembre 2010: Jean Rollin nous quittait et avec sa disparition se tournait la page d'une certaine histoire du cinéma français, du fantastique en général, et d'un improbable surréalisme avant tout. Le documentaire Jean Rollin, le rêveur égaré se penche sur cette attachante figure à la fois culte et mal connue, à l'œuvre plus que singulière; une entreprise entamée il y a 4 ans par le duo Damien Dupont/Yvan Pierre-Kaiser et qui s'achève donc sans Rollin. Élevé parmi les intellectuels, Jean Rollin se découvre cinéphile par surprise, en tombant sur du Bunuel comme on tomberait sur un coffre à trésor dans un coin du grenier. L'imaginaire de Rollin était déjà là, il ne restait plus qu'à le faire jaillir à l'écran. L'histoire du cinéaste est une histoire de cinéma, des premiers essais Nouvelle Vague à l'exploitation porno 70's puis l'abandon du 35mm. Mais toujours ou presque en marge, rêveur égaré et infatigable franc-tireur. On n'est pas sûr, d'ailleurs, que certaines interventions dans le documentaire cherchant à faire de Rollin un génie maudit soient forcément la meilleure des meilleures façons de parler du réalisateur, comme on n'est pas sûr que rabrouer Rohmer (autre cinéaste moqué hier et aujourd'hui, certes à une autre échelle) pour mettre en valeur Rollin soit indispensable. On n'attend pas, de toute façon, que Rollin reçoive de bons papiers du Figaro ou de Studio Magazine. Ce qui frappe dans Jean Rollin, le rêveur égaré, ce sont surtout les propos de Rollin lui-même, son humilité et son humour, son regard lucide et honnête sur ses films, leurs forces et leurs faiblesses.
Rollin est un anar. Comme on l'explique dans le documentaire, il ne dirige pas ses comédiens parce qu'il n'aime pas être dirigé. Son cinéma fait souffler un vent de liberté, de bazar parfois, de magie aussi. Le cinéaste revient sur l'avortement de son premier long co-écrit avec Marguerite Duras, sur la sortie cataclysmique de son premier vrai film, Le Viol du vampire (pourtant un succès en salles), sur sa découverte candide du champ/contrechamp, avec une légèreté propre à ses longs métrages et une désinvolture enfantine lorsqu'il évoque son remplacement au pied levé de Jess Franco abandonnant un tournage. Dans ce Jean Rollin, le rêveur égaré, il y a un ludisme, un sentiment laissant croire que tout est possible avec ce cinéma de lutte, qu'il s'agisse de mauvais genre ou d'économie restreinte. A l'heure des orfèvreries de la Hammer, à l'heure où Polanski outre-Atlantique accouche sa Rosemary d'un bébé diabolique, les vampires de Rollin ne ressemblent à aucun autre voisin d'horreur. Le documentaire, parfois alourdi par une voix-off un rien scolaire, met le doigt sur ce qui fait le cinéma de Rollin: l'atmosphère de merveilleux, la poésie de cimetières, la liberté du feuilleton, la mélancolie vampire. Et malgré sa facture modeste réussit l'essentiel, donner envie de découvrir et redécouvrir une œuvre inclassable et unique.