Je suis un no man's land
Philippe est chanteur et dans l’existence d’un chanteur, il y a des moments où tout s’accélère surtout quand une groupie déjantée, des parents délaissés, une ornithologue lunaire et un ami d’enfance coriace conspirent à vous compliquer la vie… Comment en sortir ?
Hurluberlu de la chanson française, Philippe Katerine est un acteur-né qui joue en permanence le rôle de sa vie, une banane éternelle sur le visage, alors qu’il promène en lui une vraie mélancolie. Il était donc tout naturel que son ami Thierry Jousse, ancien critique des Cahiers du cinéma, s’amuse de son image de troubadour des temps modernes pour le plonger dans un cauchemar kafkaïen, au principe proche d’Un Jour sans fin - avec Julie Depardieu en Andy McDowell et Jackie Berroyer en marmotte. Si les premiers minutes laissent craindre la farce grotesque et l’œillade prononcé, Je suis un no man’s land - très beau titre que n’aurait pas renié Charlie Kaufmann – trouve vite son équilibre entre comédie et drame, tendresse et causticité grâce à de cinglantes ruptures de ton. Comme Philippe Katerine lui-même, étranger à sa propre destinée, on ne sait pas s’il faut rire ou pleurer, prendre la malédiction comme une blague ou comme une punition divine, jouer la vie à pile ou face ou sur une partie de baby-foot. Et si certaines situations paraissent un peu forcé - notamment celle qui concerne le rival -, Je suis un no man’s land est un manifeste poétique que ne renierait pas Alain Guiraudie ou le regretté Jacques Rozier, la grâce de la mise en scène en moins, hélas.