Jarhead, la fin de l'innocence

Jarhead, la fin de l'innocence
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Jarhead, la fin de l'innocence
Jarhead
États-Unis, 2005
De Sam Mendes
Scénario : William Broyles Jr.
Avec : Lucas Black, Jamie Foxx, Jake Gyllenhaal, Peter Saarsgard
Durée : 2h03
Sortie : 11/01/2006
Note FilmDeCulte : *****-

Anthony Swofford, fils et petit-fils de militaires, s’engage dans le corps des Marines. Peu de temps après, il est envoyé dans le désert saoudien. La Guerre du Golfe vient d'éclater. Pour ces jeunes déracinés commence alors la longue et dérisoire attente d'un ennemi fantôme.

"ENGAGEZ-VOUS…

Après tous ces films de guerre, après la propagande des années 40 et 50, les grandes fresques épiques des années 60, le traumatisme du Viêt-nam dans les années 70 et 80, après Il faut sauver le soldat Ryan et La Ligne rouge en 1998, que restait-il à traiter dans le genre? Il est vrai que la Guerre du Golfe n’a pas fait l’œuvre de beaucoup de métrages. A l’épreuve du feu n’est qu’un sous-Rashomon, Un crime dans la tête et The Jacket ne la prennent que comme vague background. En réalité, un seul film vient à l’esprit: Les Rois du désert de David O. Russell. Mais là encore, l’action du film se situe après la fin de la guerre et l’intrigue s’oriente davantage vers De l’or pour les braves. Cependant, on notait déjà un élément caractéristique de ce conflit particulier: la glande. La Guerre du Golfe, c’est presque une blitzkrieg, une guerre-éclair qui ne permit pas à des milliers de soldats d’accomplir ce pour quoi ils s’étaient hâtivement enrôlés: servir leur pays. Très rapidement, sur le terrain, dans l’attente, dans l’ennui, ce patriotisme se mue en simple envie de tuer. Jarhead est le récit de ce point de vue de la guerre. Le point de vue d’un jeune homme naïf puis passionné et finalement frustré à en perdre la tête. La question de propagande involontaire (liée à tout film de guerre) ne se pose même pas. Et surtout, le film ne se limite pas non plus à être simplement anti-guerre. Sam Mendes filme la guerre sans la guerre pour ne parler que de ça. Par un traitement original d’une descente aux enfers différente, le cinéaste rend cet énième film de guerre pertinent.

…RENGAGEZ-VOUS", QU’ILS DISAIENT.

Ainsi commence Jarhead, sur un terrain connu, celui de la caserne où sont alignées les recrues au garde à vous, prêtes (ou pas) à se faire hurler dessus par un sergent instructeur devenu une figure habituelle obligée depuis Full Metal Jacket. La scène n’a rien de drôle pour ceux qui la vivent mais le public est obligatoirement amusé par le vocabulaire haut en couleur de l’officier et le traitement qu’il inflige à ses bleu-bites. Et pendant près de 45 minutes, on va se prendre à rire des (més)aventures du protagoniste au sein de cette "grande famille" qu’est l’armée. Les rituels, les archétypes, les clichés, autant de repères qui confortent le spectateur dans un genre qu’il connaît et, surtout, qui font passer l’expérience militaire pour une colonie de vacances. Et soudain, ça ne rigole plus du tout. Alors que peu de temps avant, on assistait au spectacle d’une pleine salle de troufions chantant en chœur La Chevauchée des Walkyries en regardant la charge des hélicoptères d’Apocalypse Now, on témoigne ensuite de l’inassouvissement de leur désir primaire: faire la guerre. Aucune chevauchée ne les accompagnera, eux. Ils s’en prennent même aux forces aériennes qui passent au-dessus de leurs têtes, diffusant de la "musique du Viêt-nam", réclamant leur propre musique, leur propre identité. Certains se sont engagés pour se sentir utiles, de manière à éviter la routine inéluctable d’un quotidien médiocre au pays, et pour réaliser finalement qu’ils ne servent à rien dans le désert irakien non plus. Au lieu de ça, ils demeurent des "têtes de jarre", fragiles au même titre que celles de l’ennemi qu’ils rêvent de viser. Ces tireurs d’élite ne vivent que pour la "brume rose" d’une explosion de cervelle. Enoncé dans le film, le terme est tellement cru et violent qu’il en devient presque pornographique. Et symbolique de l’horreur de la situation. A l’instar de cette séquence, vers la fin, où les soldats vident leurs chargeurs comme l’on se masturbe (activité récurrente au cours du film, emblématique de la notion même de frustration). Un instant terrifiant, succédant à l’enchaînement de scènes tout aussi intenses.

NOIRS ET BLANCS EN COULEUR

Pour illustrer le renversement à mi-film, l’approche formelle adoptée par Mendes donne un rôle important à l’utilisation des couleurs. Des couleurs peu nombreuses. Deux tons chromatiques prédominent: le blanc et le noir. Durant toute la première partie du métrage, l’ivoire virginal envahit le décor: de la caserne immaculée, où les hommes se distinguent encore grâce à leurs uniformes verts, jusqu’au désert où le sable couleur sel absorbe les soldats en tenue de camouflage. Ciel et terre sont mis à la même échelle, créant un gigantesque néant dans lequel vivent les fantassins. Il n’y a rien à perte de vue si ce n’est un horizon vide. Lorsque le feu est mis aux puits de pétrole, l’or noir devient pluie des enfers, l’étendue de sable se transforme en dunes enflammées, et les troupes sombrent. Abandonnant le classicisme élégant de ses deux précédents opus (la fable American Beauty et le roman graphique Les Sentiers de la perdition), Mendes filme caméra à l’épaule, sans en abuser, conférant la véracité nécessaire à un visuel qui se démarque volontairement du réalisme d’un Soldat Ryan. Un style documentaire qui disparaîtra pour l’épilogue, lorsque le nouveau quotidien de chacun des personnages nous est montré, à l’aide de longs travellings avant et de cadres à la composition millimétrée, comme pour signifier un semblant de normalité. Avant même l’incendie des réserves pétrolières, la couleur funèbre s’était immiscée dans cet univers lacté. Par le biais d’un cimetière imprévu, peuplé de silhouettes humaines encore intactes, figées sur place, comme taillées dans du charbon. Autant de fantômes venus hanter les soldats qui arrivent, une fois de plus, après la guerre. Les frappes chirurgicales couvertes par CNN ne faisaient pas état de ce paysage mortuaire, renvoyant directement à Hiroshima. Une fois de plus, après le Viêt-nam, Jarhead se fait l’écho des guerres passées de l’Amérique. La Guerre du Golfe, un conflit de plus au cours duquel les actes commis par les Etats-Unis sont à remettre en question. Cependant, l’ouvrage ne se veut pas la grande histoire sur le sujet. L’œuvre trouve sa richesse dans ce point de vue d’un homme (interprété par un Jake Gyllenhaal remarquable), dans son refus du manichéisme. Seule la narration du protagoniste viendra apporter un certain recul. Jamais Jarhead ne condamne, il ne fait que témoigner.

par Robert Hospyan

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