Jane Eyre

Jane Eyre
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Jane Eyre
Royaume-Uni, 2010
De Cary Fukunaga
Scénario : Moira Buffini
Avec : Michael Fassbender, Mia Wasikowska
Durée : 2h00
Sortie : 25/07/2012
Note FilmDeCulte : *****-
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Jane Eyre est engagée comme gouvernante de la petite Adèle chez le riche Edward Rochester. Cet homme ombrageux ne tarde pas à être sensible aux charmes de la jeune fille. C'est le début d'une folle passion...

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Encore une adaptation du roman de Charlotte Brontë ? La première question qui vient à l'esprit est "Pourquoi". Jane Eyre, magnifique roman de l'aînée des trois sœurs britanniques, dense, fourmillant, sombre, habité d'une passion immense mais sourde, a été adapté environ mille fois déjà... Parmi les plus célèbres versions, l'une avec Orson Welles et Joan Fontaine, dirigée par Robert Stevenson en 1943 ; une autre en 1996 par Franco Zeffirelli, avec William Hurt et Charlotte Gainsbourg. Pourquoi une de plus ? Eh bien, la réponse est là, juste là, dans la distribution de ces deux rôles principaux. Michael Fassbender dans le rôle de Rochester. Mia Wasikowska dans le rôle de Jane Eyre. Deux acteurs qui sont plus que des étoiles montantes, plus que des "buzz" ambulants, plus que "deux des meilleurs acteurs de ces dernières années". Ce sont deux comédiens à l'expressivité remarquable, qui brûlent, qui donnent chair et sang à leurs personnages, et qui s'y plongent sans retenue. De ceux qui, en un regard, arrivent à faire passer les émotions de toute une vie. Peut-être, oui, comme plusieurs critiques le soulignent, trop beaux pour ces deux rôles. Mia Wasikowska pourtant porte en elle une discrétion qui confère à son personnage une humilité qui correspond exactement à ce que décrit Charlotte Brontë de Jane Eyre : ni jolie, ni laide, et peu lui importe. Pour ce qui est de Rochester, le magnétisme (mot qu'on ne se lasse plus de lire à son sujet depuis son rôle dans X-Men) de Fassbender ne peut que renforcer la crédibilité de cette histoire ; et lorsque Jane lui avoue qu'elle ne le trouve pas beau, son état ne s'en trouve que plus justifié.

Sur toute la ligne, Cary Fukunaga n'a pas choisi la facilité dans son adaptation. Pas de flamboyance, pas de romantisme exacerbé. Pas non plus de "folle passion", à vrai dire, comme le clame le synopsis officiel. Et ça tombe bien, car le roman non plus ne contient rien de ce genre. Tout est vu par le prisme du regard - enfermé, retenu, mais bouillonnant - de Jane Eyre, sa vision du monde, sa vision d'elle-même, et le metteur en scène insiste sur cette idée en construisant son film à partir d'un flashback, commençant ainsi par la dernière partie du roman. Cette idée est d'ailleurs bien plus qu'un simple stratagème pour se démarquer des versions précédentes : elle redonne du dynamisme au scénario, que cette partie dans la famille de St-John Rivers, singulièrement calme et détachée, aurait pu lester ; elle insuffle de l'intérêt pour ce personnage de St-John, qu'à la lecture on se hâte peut-être un peu vite de trouver falot, et elle conforte la relation Jane/Rochester comme cœur de l'intrigue. Mais, il faut le reconnaître : tout va très, trop vite. L'enfance chez les Reed et le pensionnat en particulier, n'en sont réduits qu'à deux ou trois scènes chacun. L'épisode - pourtant essentiel et très marquant - de la chambre rouge est rapide, comme effleuré. De même, l'amitié, la maladie et la mort d'Helen Burns ne durent que quelques instants. S'agit-il alors de ne s'adresser qu'aux lecteurs du livre, qui, simplement par la vision de ces scènes brèves, convoqueront dans leur mémoire le reste de l'histoire ? Peut-être est-on en fait davantage dans un système d'évocation, plutôt que dans une adaptation obéissante ; c'est clairement la deuxième partie qui intéresse le réalisateur, et tout le reste n'est là que pour mieux l'éclairer. Tout se construit, dès le départ, dans une tension inéluctable vers Rochester - cette fameuse "corde" entre leurs deux cœurs -, et surtout vers Thornfield Hall, ce lieu où Jane apprendra tant, notamment sur elle-même.

Si les inconditionnels du roman regretteront l'absence de certaines scènes capitales - en particulier la fameuse scène "de la bohémienne" -, ils ne pourront que se réjouir du talent des deux interprètes principaux. Le regard de Mia Wasikowska, sa voix fluette mais décidée, son port de tête évoquant à la fois la soumission de son rang et la révolte de ses pensées, en font un magnifique vilain petit canard qui ignore sa vraie nature. L'actrice a voulu ce rôle dès le moment où elle a lu le roman, et a elle-même demandé à son agent si un projet était en cours ; c'est peu de dire qu'elle est Jane Eyre jusqu'au bout des ongles, qu'elle partage sa force incroyable, et sa façon de s'être construite seule, et de survivre seule. Elle en a la jeunesse, la force, les frémissements. Face à elle, quel meilleur compagnon de jeu que Michael Fassbender ? Leurs scènes face à face sont toutes sublimes : évidemment brûlantes, mais contenues dans des corps et des âmes tourmentés, par les corsets, les conventions, les empêchements, les circonvolutions, les jeux, les frustrations et les non-dits. Bertha Mason (Valentina Cervi), elle aussi peu longuement exploitée, devient l'évocation de cette ombre, de ce mal absolu qu'on - Jane en premier - ne peut s'empêcher de plaindre, tant elle est, évidemment, la seule à exprimer ce que tous les autres répriment. Autour d'eux, un grand soin est apporté aux décors, aux costumes ; l'éclairage de certaines scènes est si ténu qu'il transforme certains plans en tableaux où les yeux des comédiens deviennent le centre du monde. Les nombreux seconds rôles sont aussi globalement bien distribués : Sally Hawkins toujours assez parfaite en figure maternelle détestable, retrouvant Craig Roberts, déjà son fils dans Submarine ; Judi Dench bien sûr impeccable en Mrs Fairfax, Jamie Bell presque touchant en St-John, la jeune interprète d'Adèle réellement francophone (chose assez rare pour être soulignée)... Seule Imogen Poots semble un peu sous-exploitée en Blanche Ingram.

Il est difficile malgré tout de considérer en toute sincérité que cette adaptation peut se suffire à elle-même ; la lecture du roman semble, si ce n'est indispensable, tout du moins très appréciable pour profiter au mieux du sous-texte du film et de sa charge émotionnelle. On regrettera aussi que le discours intérieur de Jane Eyre, en particulier ses tonalités profondément féministes, soit quasiment passé sous silence - mais c'est le prix à payer pour avoir le droit d'échapper à une sempiternelle voix-off. C'est donc une adaptation imparfaite que nous livre Fukunaga, mais qui, par ses touches d'ombre et de lumière, et par ses deux vibrants interprètes, est malgré tout très réussie.

par Anne Mourand-Sarrazin

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