Itchkéri Kenti - Les Fils de l'Itchkérie

Itchkéri Kenti - Les Fils de l'Itchkérie
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Itchkéri Kenti - Les Fils de l'Itchkérie
France, 2006
De Florent Marcie
Durée : 2h25
Sortie : 07/02/2007
Note FilmDeCulte : ****--

Tourné clandestinement en Tchétchénie pendant la première guerre, monté dix ans plus tard pour témoigner d'une histoire oubliée, Itchkéri Kenti est un film sur l'humain dans la guerre et la résistance.

FRAGMENTS SUR LA GUERRE

S’il fallait un angle d’attaque, on ne le trouverait pas. Heureusement, la critique n’est pas stratégie guerrière – et Itchkéri Kenti fournit une matière suffisamment dense et complexe pour qu’on ne puisse se contenter de la polariser. Pas de versant évident, donc, et pas de trajectoire univoque: Itchkéri Kenti est affaire de fragmentation, d’assemblage de morceaux d’époques (dix ans séparent la première séquence des suivantes), de géographie évolutive (road documentary), d’éclats de vies, de voix et d’obus, de traits de peinture jetés sur une toile in progress… Qu’est-ce qu’un film qui faillit ne pas en être un, interroge Itchkéri Kenti. Marcie, en effet, filme en 1996, sans filet, sans production, sans argent, sans autorisation, sans traducteur. Il ne s’agit pas de faire œuvre, mais de faire trace. L’image est ainsi volée, urgente, unique (cette guerre de Tchétchénie étant une guerre invisible, donc tue, que Marcie, et c’est son premier mérite, rend visible, donc éloquente); mais aussi dangereuse, encombrante, matérielle. Il faudra l’enterrer pour la – et se – préserver.

Si l’ombre du bédéaste-reporter Joe Sacco semble planer sur ce film foisonnant de visages et de lieux, c’est que le montage de Marcie procède également de la vignette, alternant fines mises en contexte historiques et culturelles, scènes de la vie quotidienne et échos, proches ou lointains, de la guerre en marche. De ce tissage compliqué, une première vision ne permet pas de tout appréhender. Et c’est peut-être là qu’Itchkéri Kenti atteint sa limite, fixée par son sujet: c’est que si cette Tchétchénie invisible est un univers inconnu, puisque jusqu’ici dissimulé, elle est aussi, et la constatation donne le vertige, un univers aujourd’hui complètement disparu. Marcie a donc filmé l’invisible, mais aussi l’éphémère: son film devient ainsi fabrique de mémoire, pour un monde oublié. A cette aune, on comprendra sans doute mieux l'inconcevable, à nos yeux épargnés par le bellicisme, désinvolture de cette famille qui, dans une séquence centrale, terrée dans son salon, acceuille les bruits de mitraille émanant du dehors, avec une hilarité résignée tout à fait – le mot vient tout seul – désarmante. Incroyable ordinaire de l’extraordinaire: les vitres du salon viennent de se briser? Eh bien, on en ramassera les morceaux plus tard.

par Guillaume Massart

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