Interstellar

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Interstellar
États-Unis, 2014
De Christopher Nolan
Scénario : Christopher Nolan, Jonathan Nolan
Avec : Casey Affleck, Michael Caine, Jessica Chastain, Anne Hathaway, Matthew McConaughey
Photo : Hoyte Van Hoytema
Musique : Hans Zimmer
Durée : 2h49
Sortie : 05/11/2014
Note FilmDeCulte : ******
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Les aventures d’un groupe d’explorateurs qui utilisent une faille récemment découverte dans l’espace-temps afin de repousser les limites humaines et partir à la conquête des distances astronomiques dans un voyage interstellaire.

NOLAN IS INNOCENT

Comme tout grand cinéaste, Christopher Nolan polarise. Seulement, l'adulation pour le réalisateur est telle qu'elle a généré par esprit de contradiction un antagonisme sans doute plus marqué que pour nombre de metteurs en scène de sa génération. Disons-le tout de suite, Interstellar ne réconciliera pas les détracteurs avec le cinéma de Nolan qu'ils qualifient de "rouleau compresseur". Cependant, force est de constater que l'auteur cherche une nouvelle fois à évoluer et proposer quelque chose de différent. Depuis Inception, Nolan s'oriente de plus en plus vers un optimisme qui ne caractérisait pas sa filmographie jusqu'alors. En reprenant ce projet de Steven Spielberg, le metteur en scène a hérité, ou plutôt assumé, le sentimentalisme propre à son illustre prédécesseur, et livre son film le plus émouvant, peut-être aussi parce qu'il semble être son plus personnel. Nolan paraît parfaitement conscient des caractéristiques de son oeuvre et, en bien des points, son dernier opus semble être une réflexion sur son propre cinéma, sur son approche du médium, souvent qualifiée, à tort, de "froide" ou de "cérébrale". Si les émotions se font plus évidentes, l'intelligence du film demeure profondément ancrée dans la démarche du cinéaste et si Interstellar peut faire à nouveau figure de "rouleau compresseur", c'est avec joie qu'on accepte d'être écrasé.

SPACE, THE FINAL FRONTIER

En effet, Interstellar nanifie. Tout du long, même lorsque l'on est encore sur Terre, le film n'a de cesse de rendre l'humain tout petit, de le mettre face à l'insurmontable, qu'il s'agisse du tempête de poussière qui s'élève au-dessus des gradins d'un stade de base-ball - Nolan aime bien les catastrophes qui perturbent les matches de sports américains typiques - aux obstacles rencontrés par delà les étoiles sur les lieux où se rendent nos héros, autant de contrées désertiques à la nature préhistorique imposante et effrayante. De toute évidence, l'infiniment grand que représente l'espace est l'obstacle ultime pour l'Homme, la "final frontier" du générique de Star Trek, que l'on oublie être à la base une série optimiste sur un équipage parti pour une mission exploratrice de cinq ans. Et c'est avec ce même optimisme que le récit renverse la donne, en faisant embrasser à l'Homme cet infiniment grand-ci, pour sa propre survie. Le romantisme du film, dans sa profonde conviction que l'exploration (spatiale) est l'avenir de l'Homme, est palpable à travers tout le film. Il nourrit directement l'optimisme moteur du film, et ce malgré chaque nouvelle situation désespérante. La trilogie Batman et Inception traitaient déjà de surmonter un trauma, de comment se relever après être tombé, et tout le programme d'Interstellar réside là-dedans, jusqu'à la dernière image. Le spectre du 11 septembre a disparu au profit d'une autre catastrophe menaçant notre société, l'éventuelle extinction de la planète, décidément la thématique de prédilection pour les blockbusters de 2014. En cela, Interstellar poursuit sur la lancée d'Inception et The Dark Knight Rises l'évolution du cinéma de Nolan du pessimisme vers l'optimisme.

IGNITION

En mettant en perspective les choix faits par ses protagonistes dans Memento, Insomnia ou Batman Begins et The Dark Knight, on pouvait interpréter la fin d'Inception comme Cobb choisissant de se complaire dans l'illusion. Toutefois, en recoupant d'autres indices laissés par Nolan dans le film et dans le contexte de la fin de The Dark Knight Rises, il apparaît en réalité que Nolan avait entrepris sa guérison (de son obsession du contrôle) en même temps que son alter ego filmique et qu'il autorisait désormais des issues cathartiques à ses protagonistes. Par conséquent, depuis Inception, le cinéma de Nolan s'est également fait plus ouvertement émouvant, abandonnant notamment ses conclusions glaçantes, à l'émotion intellectualisée, pour de l'émotion pure, et cette progression culmine ici, avec des scènes émotionnellement dévastatrices. À cet effet, l'intégralité de la scène entraperçue dans le tout premier teaser, avec le personnage de Cooper en larmes au volant, encapsule tout le film. Nolan met toute l'importance du départ dans cette scène, délaissant complètement la séquence de décollage à laquelle tout autre film aurait consacré le plus gros de son temps, et filme ce départ comme la véritable séparation avec notre foyer qu'est la Terre en la filmant justement comme on filme généralement une fusée qui s'arrache de l'attraction terrestre, caméra fixée sur le côté du camion laissant la maison derrière lui, plan serré de face sur le pilote. Et quand il superpose le véritable compte à rebours sur ces images, le lien se fait encore plus évident.

DANS L'ESPACE, PERSONNE NE VOUS ENTEND PLEURER

D'aucuns reprocheront au film son sentimentalisme mais il n'est jamais surfait. Au contraire, il est même des plus cohérents compte tenu du propos. Parce que derrière tout le verbiage, lui aussi destiné à être réprimandé, c'est ce coeur qui bat à travers tout le film. Derrière la vulgarisation scientifique digne de Michael Crichton, il y a tout ce discours sur la place de l'amour dans la science. Dit comme ça, ça peut paraître complètement con, mais c'est la question que Nolan pose à son propre cinéma. Par ailleurs, en choisissant de faire de son équivalent de HAL9000 le comic relief du film, Nolan fait comme un pied-de-nez à ceux qui lui reprochent d'être trop cérébral et de manquer d'humour. Ici, le sidekick comique est une intelligence artificielle avec une gueule de monolithe kubrickien, sans doute le robot le plus original vu au cinéma depuis longtemps, tant dans la caractérisation que le design. En s'aventurant dans l'univers le plus loin possible de l'humain, l'espace noir et froid et vide, c'est comme si Nolan avait besoin de se priver ainsi pour laisser son coeur parler. Tout le cinéma de Nolan s'articule autour de la perte de l'être aimé et Cooper est à nouveau un veuf typiquement nolanien même si, dans le cas présent, l'objet de son obsession n'est pas de venger sa femme (comme dans Memento, Le Prestige et The Dark Knight) mais de retrouver sa fille (comme dans Inception, comme quoi il y a vraiment un avant et un après ce film). Ou plutôt la sauver. C'est Armageddon sans l'aspect "sauvons le monde" de blockbuster de base.

CHICS PLANÈTES

Et cet objectif n'est évidemment qu'un prétexte. Bien que Nolan ait dit qu'Interstellar était une exploration externe là où Inception était une exploration interne, c'est seulement en surface. L'exploration spatiale n'est qu'un McGuffin pour une exploration humaine. Qu'est-ce qui nous anime, en tant qu'humains? À ce titre, Interstellar réussit ce que Contact (Robert Zemeckis, 1997) et Sunshine (Danny Boyle, 2007) peinaient à incarner, dans l'émotion du rapport père/fille pour le premier, notamment dans son dernier acte bien plus satisfaisant, et dans l'étude de la nature humaine de l'équipage pour le second, qui passe parfois par les mots mais aussi par les actes et transpire surtout visuellement, au travers des décors notamment. Comme dans Inception ou la prison de The Dark Knight Rises, les décors ont une portée théorique, reflets d'une thématique ou d'un personnage. Le désespoir cyclique d'une planète en tsunami perpétuel (renvoyant là aussi à une catastrophe naturelle qui menace l'Homme et son habitat), la déshumanisation d'une planète en nuages de glace et quelques autres qu'il ne vaut mieux pas révéler.

TIME, THE DESTROYER OF WORLDS

Christopher Nolan favorise les narrations éclatées - et le film témoigne une fois de plus d'une véritable science du montage parallèle, l'écriture et la mise en scène appuyant la force des événements au travers de cette simultanéité - et pour cause, son obsession majeure semble être le dialogue entre les temporalités, entre passé et présent. C'est pourquoi ses films sont faits de flashbacks et d'allers-retours dans le temps, parce que le passé informe le présent, parce que, comme il est dit dans Batman Begins, memory is poison, la mémoire est traître, la mémoire est moteur de nos actions. L'obsession de vengeance de ses personnages est mû par ces souvenirs qui les hantent. Dans Inception, Nolan avait carrément diégétisé cet aspect en faisant de la mémoire un fantôme capable de se manifester, de prendre une forme physique. Ici, il est à nouveau question de fantôme et Nolan diégétise une fois de plus ce dialogue entre passé et présent, d'une autre manière, dans cette sempiternelle quête pour corriger le passé, de rattraper le temps perdu, ce temps qui passe trop vite (la relativité du temps joue également un rôle comme dans Inception). "Devenir parent affine incroyablement votre rapport au temps et au temps qui passe. Il y a ce désir désespéré de s'accrocher à des moments alors que vos enfants grandissent". Tout le cœur du film est contenu dans cette citation de Christopher Nolan.

AINSI PARLAIT CHRISTOPHOUSTRA

Le film a une facture narrative très classique mais peut se faire relativement peu user-friendly dans le temps qu'il prend pour traiter ses thèmes et détourner le principe de set-piece. On ne peut nier un léger ventre mou mais on reste fasciné tout le long par ce voyage interstellaire, avec son parti-pris encore plus jusqu'au-boutiste que Gravity sur le son et ses designs galactiques conçus à partir d'équations scientifiques authentiques. Il faut voir ce passage auprès de Saturne et les choix inattendus de la bande sonore. Soit dit en passant, Hans Zimmer n'avait pas menti. Sa partition pour Interstellar change complètement de ces précédentes collaborations avec Nolan. L'artiste confère toute sa majesté au film en troquant les cordes pour l'orgue d'église, confinant l'expérience au divin. Parce que le divin, lui, est complètement absent de ce film célébrant la science et la rationalité. Et l'Homme. Seul capable de se sauver. Mais derrière l'aspect cérébral se cache une expérience sensorielle. Les "scènes d'action" à proprement parler sont rares mais on retiendra toutefois cette séquence d'amarrage absolument incroyable, en partie grâce à la musique tonitruante qui d'un coup explose avec des coups de synthé '80s devant davantage à Tangerine Dream qu'autre chose. Des frissons. Des frissons, des larmes, des idées. La conciliation du métaphysique avec la physique quantique, la conviction qui traverse les générations, se transmet de pères en filles, assure la pérennité de l'Humanité. Brutalement honnête, empreint d'une certaine noirceur dans sa tristesse néanmoins contrebalancée par cette rage optimiste lancinante, au même titre que le poème de Dylan Thomas (un peu trop souvent) rabâché tout le long, Interstellar est d'une densité et d'une beauté, dans le fond comme dans la forme, absolument terrassantes.

par Robert Hospyan

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