L'Institutrice

L'Institutrice
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Institutrice (L')
Kindergarten Teacher (The)
Israël, 2014
De Nadav Lapid
Scénario : Nadav Lapid
Durée : 2h00
Sortie : 10/09/2014
Note FilmDeCulte : *****-
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Une institutrice décèle chez un enfant un don prodigieux pour la poésie. Elle décide de prendre soin de lui…

ESPRIT REBELLE

Qu’est-ce que le sujet d’un film ? Qu’est ce qui le définit, comment le trouver ? La question peut paraitre banale et la réponse souvent évidente. Et pourtant parfois, cette question persiste bien après le visionnage. C’est alors moins la marque d’une complexité opaque que la marque des films ambitieux, de la famille de ceux qui n’ont pas peur de brasser large et de manier l’ambiguïté. De quoi parle L’Institutrice, le nouveau long-métrage de Nadav Lapid (Le Policier)? De la transmission du savoir dans une relation professeur/élève ? De l’origine mystérieuse et impromptue de la poésie dans un monde aride ? De la névrose d’une femme au bord de la folie ? De l’espoir face à l’avènement d’un possible esprit supérieur (connotations politiques incluses) ? Eh bien de tout cela à la fois, entre autres. Et pourtant le résultat n’est jamais confus. La fable amère et superbe de Lapid se déploie avec autant d’élan que de clarté. Elle charme et intrigue pour mieux assommer. Sous de classiques apparences (son titre passe-partout, son affiche qui laisse envisager un énième portrait d’enfant), L’Institutrice est au contraire un film fou, inattendu au possible, où chaque scène se débrouille pour ne jamais vraiment suivre les rails de la précédente. Le plus grand sérieux y côtoie une inquiétante loufoquerie.

Yoav, cinq ans, possède un don hors du commun pour la poésie, il déclame des haikus à l’improviste, avec une facilité déconcertante mais sans que quiconque s’en émerveille. Lunaire et pas forcément adorable, l’enfant est d’ailleurs le premier à ne rien voir d’exceptionnel là-dedans. Pourtant, dans la bouche d’un enfant, ces poèmes sont effectivement assez stupéfiants. Ironie extrafilmique : ces poèmes ont d’ailleurs été composés par Lapid lui-même… quand il avait cinq ans. Nira, l’institutrice du titre, est d’abord stupéfaite par ce talent rare. Elle devient peu à peu obsédée par l’idée d’aider ce jeune garçon à s’intégrer dans une société qui selon elle, n’a que de la violence à lui offrir en retour. Il y a dès lors une certaine cruauté dans la manière qu’a le film de ne pas brosser cette histoire dans le sens du poil. En ce sens, L’Institutrice est un peu l’anti-Le Cercle de poètes disparus. Ce don artistique, que chacun des personnages cherche à faire taire ou à s’approprier, révèle moins une entraide affectueuse que des égoïsmes exacerbés. Yoav n’a aucun souhait d’être mis en avant, et pourtant Nira se sent investie d’une mission qui vire à la névrose, son désir d’élever le monde qui l’entoure la pousse à la violence. Difficile de faire le bonheur des gens contre leur gré.

Il y a dans la mise en scène de Lapid comme un écho de la récente nouvelle génération de réalisateurs brésiliens (Dutra, Rojas, Gotardo, Filho…). Une façon de faire surgir des émotions très fortes de manière complètement inattendue, tels ces très gros plans soudains ou cette scène où un personnage se met à chanter pour nous, face caméra, les yeux dans les yeux. Une manière de brouiller les pistes en mélangeant différentes interprétations et différents registres tout en gardant une grande cohérence, une variété qui enrichit l’ensemble plutôt que de l’affaiblir. Lapid est omniprésent dans son film : par ses poèmes mais aussi par sa manière de toujours rappeler l’artificialité assumée de ce qu’il filme - les acteurs se cognent à la caméra, la contournent, s’y collent, la regarde bien en face. Et malgré cela, ou peut-être précisément grâce à cela, le réalisateur israélien parvient à faire naitre une émotion forte et durable. Il donne notamment une profondeur inattendue à son héroïne, dont la quête, l’angoisse et la solitude se révèlent finalement déchirants. Le décalage entre cette femme idéaliste et la balourdise du monde qui l’entoure revient nous frapper de plein fouet dans un dénouement cinglant et bouleversant.

par Gregory Coutaut

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