Inquiétudes

Inquiétudes
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Inquiétudes
France, 2003
De Gilles Bourdos
Scénario : Gilles Bourdos, Michel Spinosa
Avec : Brigitte Catillon, Etienne Chicot, Grégoire Colin, Laurent Grevill, Julie Ordon, Frédéric Pierrot
Durée : 2h17
Sortie : 04/02/2004
Note FilmDeCulte : ******

Bruno Keller, étudiant en arts plastiques obsédé par le blanc, ne cesse d’étonner ses professeurs. Solitaire, il vit avec un oncle qu’il n’arrive plus à supporter. Il fait la rencontre d’une jeune fille, Elise Gardet, qui traîne un lourd passé, puisqu’elle a été témoin à l’âge de 7 ans du meurtre de sa mère.

ART ET POLITIQUE

Inquiétudes est le deuxième long-métrage de Gilles Bourdos, auparavant réalisateur du remarquable mais inaperçu Disparus (1998). Cet étrange histoire d’espionnage sur fond de rivalité entre mouvances d’extrême gauche trotskistes et staliniennes se déroulait juste avant la seconde guerre mondiale. Avant que les Nazis ne viennent mettre tout le monde d’accord. Dans Inquiétudes, l’idéal artistique remplace l’engagement politique, mais la passion reste la même. En renouvelant la confiance qu’il porte à son scénariste (Michel Spinosa) et à sa bande d’acteurs (Colin, Catillon, Pierrot), Bourdos a abordé dans des conditions idéales son nouveau projet, qui est une fois de plus un faux film de genre. Inquiétudes a en effet tous les ingrédients d’un thriller: meurtre irrésolu, crimes en série, cadavres encombrants… Le réalisateur et son scénariste ont, à partir d’une intrigue de facture classique tirée d’un roman de Ruth Rendell, mis en place une mécanique qui fait fi de l’ordonnancement (chrono)logique habituel. Le rythme du film, et la complexité des rouages en œuvre, ne fonctionnent que grâce à la précision d’horloger de Gilles Bourdos. Le réalisateur n’hésite pas à prendre son temps, à s’arrêter sur des personnages mystérieux. L’usage du plan séquence, servi par la qualité du jeu des acteurs, comme le travail sur le cadre, qui fait que les protagonistes ne sont qu’un petit élément de leur environnement, placent le spectateur dans la position privilégié de témoin d’images volées.

HYGIENE DE L’ASSASSIN

Le personnage de Bruno Keller, dont la fièvre et l’imprévisibilité sont proches du Roberto Succo de Cédric Kahn, est bien entendu l’élément moteur du film. Ce jeune artiste en quête d’absolu s’oppose violemment à son environnement et d’abord à son oncle, qui est son exact contraire: vieux, à l’hygiène de vie douteuse, attaché à ces objets anciens qui font parti du patrimoine familial. En rupture avec un héritage qu’il a du subir pendant son enfance, Bruno souhaite faire table rase. Grégoire Colin l’interprète, charismatique, ténébreux, fascinant. Malgré son mutisme, l’énergie brute qu’il dégage impressionne durablement. Il confirme, à l’image de sa filmographie, qu’il est sans doute l’un des plus grands acteurs français de la nouvelle génération. Mais Bruno Keller n’est pas seul, il se heurte à des murs et à d’autres interlocuteurs. Le duel à distance qui l’oppose à la belle-mère possessive d’Elise, Anne Gardet, est d’une grande intensité. Pour ce personnage, magnifiquement habité par Brigitte Catillon, l’inquiétude se meut en paranoïa. Le combat entre les deux folies devient rapidement absurde.

LE MASQUE DE LA MORT ROUGE

Dans une interview, Gilles Bourdos se référait à l’œuvre d’Edgar Allan Poe. On retrouve dans Inquiétudes des thèmes proches de ceux abordés par l’écrivain new-yorkais dans ses "histoires extraordinaires": enterrement, emmurement, coupable qui devient victime de son propre piège… L’étrange villa sans fenêtres tournées vers l’extérieur et dans laquelle se déroule une bonne partie de l’intrigue est typique de ces lieux de perdition. Malgré ce foisonnement thématique, d’où vient ce sentiment que la réussite intégrale du film tient finalement à peu de chose? La bande annonce laissait présager du pire. La fascination pour le personnage de Bruno Keller aurait facilement pu se transformer en exaspération, ou l’esthétisme de la réalisation devenir pesant. Mais les superbes images du chinois Mark Lee Ping-Bing (les films de Hou Hsiao-Hsien, In the Mood for Love) trouvent sans problème leur justification dans le point de vue du réalisateur. Gilles Bourdos a fait très fort en faisant appel à ce chef opérateur réputé qui tourne pour la première fois un film occidental. Ainsi, la lucidité extrême de Bourdos lui a permis de gérer une alchimie complexe. Rien que pour cette exigence très personnelle, il mérite d’être placé au côté des jeunes cinéastes français les plus prometteurs.

par Yannick Vély

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