Inland Empire

Inland Empire
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Inland Empire
États-Unis, 2006
De David Lynch
Scénario : David Lynch
Avec : Harry Dean Stanton, Laura Dern, Jeremy Irons, Justin Theroux
Durée : 2h52
Sortie : 07/02/2007
Note FilmDeCulte : *****-

Une histoire de mystère. Au cœur de ce mystère, une femme amoureuse et en pleine tourmente.

DANS MA PEAU

Twin Peaks, Lost Highway, Mulholland Drive: les titres des films de David Lynch sont souvent le nom d’un lieu emblématique, petite ville gagnée par l’étrange, autoroute perdue d’une fugue mentale, ou chemin escarpé de l’envers hollywoodien. Inland Empire annonce la donne et se loge ailleurs, non plus sur un sentier nocturne qui mène à l’inconnu, mais dans l’inconnu même, dans la tête et la peau d’une femme à la dérive, empire intérieur qui constitue une fin, une nouvelle barrière renversée par Lynch qui, avec Lost Highway et Mulholland Drive, s’intéressait déjà au retranchement intérieur, aux mondes mentaux reconstitués entre rêve, projection et schizophrénie. Un empire qui permet aux personnages de sortir d’eux-mêmes (métamorphose de Fred Madison dans Lost Highway, dédoublement de Diane Selwyn qui voit son propre cadavre dans Mulholland Drive, perte totale des repères de Nikki Grace / Susan Blue ici) tout en s’immergeant au plus profond de leur psyché en un songe éveillé qui obsède Lynch et dont le réalisateur radicalise la narration. Plus de bouée de sauvetage comme dans Mulholland Drive, plus d’éveil du cow-boy, de clef et de boîte bleue, la plongée se fait en apnée, sans balise ni cailloux au sol,dans la nuit la plus sombre entre toutes.

CHASING THE RABBIT

Dans ses entretiens avec Chris Rodley, Lynch parle d’un cinéma du "temps onirique", un espace où plusieurs temporalités prennent place, procédé déjà exploité dans le précédent film du cinéaste. Inland Empire scrute les incertitudes de la raison à travers "ce qui se produit, ce qui peut s’être produit, et ce qui peut encore se produire", mêlant les temporalités du tournage d’un remake et les circonstances étranges qui ont mené le film original à échouer. Mulholland Drive était fait de play-back et de jeu d’actrice, entre perruques et répétitions, Inland Empire se referme sur lui-même et confond réel et fantasme. A la frontière, plus que jamais, car, selon Lynch, "c’est ce qu’il y a de plus beau, de se perdre dans un monde". Un monde disparate entre Hollywood et la Pologne, d’ectoplasmes d’acteurs aux visages flous et de performance à base de lapins inquiétants. Plus encore qu’auparavant, le labyrinthe Lynch est abstrait, et la dernière pièce du puzzle semble manquer à jamais, pire, elle semble sans cesse se déplacer. Pour la critique américaine Pauline Kael, "Lynch est le premier surréaliste populiste – un Frank Capra de la logique du rêve". Lynch dit ne rien connaître à la psychanalyse, et son empire a beau être profondément intérieur, il reste avant tout intuitif, équivalent filmique de l’écriture automatique des surréalistes – le long métrage n’avait, d’ailleurs, pas de script précis au début du tournage.

RAISON ET SENTIMENTS

Des cauchemars de Francis Bacon à la détresse d’Edward Hopper, c’est le Lynch peintre qui semble à l’oeuvre dans Inland Empire. Un Lynch qui jouit du même contrôle absolu que devant sa toile, réalise (à la DV), mais aussi cadre et monte. Et sait mieux que quiconque créer l’image menaçante, un malaise au cœur des ténèbres et des éclairs stroboscopiques, dans un essai expérimental qui aurait parfois autant sa place en musée d’art moderne qu’en salle de cinéma. "J’ai ressenti Eraserhead, je ne l’ai pas pensé". Inland Empire semble avoir été conçu de la même façon, avec ses vraies errances pour le double de fulgurances, son influence des rêves de Bergman comme cet humour verso de l’inquiétude: lapinous de Beatrix Potter donc, vieille solennelle qui rappelle l’homme venu d’ailleurs de Twin Peaks comme l’homme mystère de Lost Highway, curieuse interview télévisée ou chorégraphie improvisée à coup de Locomotion. Au cœur de ces tourments et d’un couple en souffrance, Laura Dern s’avère stupéfiante, transfigurée, lâchée sans parachute dans les dédales d’un royaume-ruban de Möbius. "Je n’aime pas trop parler car, à moins d’être un grand poète, quand on parle, on rapetisse ce qui est grand". La poésie de Lynch s’exprime, elle, au-delà des mots, à travers une expérience des sens qui défie le temps et la raison, et s’achève en un générique de fin jubilatoire dont il ne faudra pas perdre une note.

par Nicolas Bardot

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