Inception

Inception
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Inception
États-Unis, 2009
De Christopher Nolan
Scénario : Christopher Nolan
Avec : Michael Caine, Marion Cotillard, Leonardo DiCaprio, Joseph Gordon Levitt, Cillian Murphy, Ellen Page
Photo : Wally Pfister
Musique : Hans Zimmer
Durée : 2h22
Sortie : 21/07/2010
Note FilmDeCulte : ******
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Dom Cobb est un voleur expérimenté – le meilleur qui soit dans l’art périlleux de l’extraction : sa spécialité consiste à s’approprier les secrets les plus précieux d’un individu, enfouis au plus profond de son subconscient, pendant qu’il rêve.

DREAM A LITTLE DREAM

Rappelez-vous. C'était il y a deux ans. The Dark Knight engrangeait un milliard de dollars au box-office mondial. Vous n'avez pas rêvé. Un blockbuster presque exempt de scènes d'action avait stupéfait le monde entier, unissant public et critiques. A posteriori, la carrière de Christopher Nolan s'impose comme une prodigieuse progression contrôlée de l'auteur dans les différentes sphères de l'industrie cinématographique. Film de fin d'études brouillon tourné en Angleterre avec 6000 dollars, Following permettait à Nolan de faire financer Memento. Ce deuxième long métrage, premier bijou du cinéaste, lui ouvrait les portes d'Hollywood. Avec Insomnia, il prouve aux studios qu'il est capable de gérer une plus grosse infrastructure et entame sa collaboration avec Warners Bros, foyer de Stanley Kubrick, qui l'engage alors pour ressusciter Batman. Cependant, juste près Batman Begins, plutôt que de s'offrir enfin le luxe de réaliser ses rêves, le metteur en scène préfère concrétiser un projet antérieur au budget inférieur, Le Prestige. Si jusqu'alors aucun de ses films n'avaient fait preuve de quelque concession vis-à-vis de ses producteurs, c'est véritablement avec The Dark Knight que Nolan commence à faire ce qu'il veut. En lieu et place d'une simple suite au reboot d'une adaptation de comics, Nolan signait un film d'idées, personnifiant des concepts politiques et philosophiques par le biais de protagonistes de bande-dessinée. Couillu. Malgré tout cela, l'auteur, à l'instar de ses personnages, n'a su exorciser ses obsessions et c'est tout-puissant, fort de son statut nouvellement atteint de maître du monde, qu'il revient avec Inception. Germée il y a une dizaine d'années, pitchée à la Warner suite à Insomnia, l'idée du dernier opus aura dû attendre que Nolan ait acquis l'expérience et le pouvoir nécessaire pour mener à bien cette entreprise. Parce qu'Inception est le film-somme de Christopher Nolan. Un trip original dans un paysage de suites, d'adaptations et de remakes. Le premier film que l'auteur écrit seul depuis Following, revisitant son œuvre, arborant des aspects métafilmiques, au croisement des genres et des influences. Un rêve.

DREAMSCAPE

A l'instar de sa narration, Inception est un film à plusieurs niveaux. Au premier niveau de lecture, l'ouvrage est déjà une belle réussite. De nos jours, il est malheureusement devenu de plus en plus rare de voir un film avec un concept original. Il est encore plus rare de voir un film qui exploite son concept au-delà du simple postulat de départ, et l'explore à fond, s'en servant pour en extraire les scènes d'action mais aussi les scènes d'introspection les plus pertinentes. En l'occurrence, on pourrait ne parler que des aspects provenant de la science-fiction; ou comment Nolan construit un univers fou, ancré pourtant dans une réalité presque palpable ("un thriller de science-fiction contemporain" avait-il annoncé), et cohérent, respectant ses propres règles (cf. la dilatation du temps dans le dernier acte) en se permettant quelques habiles exceptions, le tout exposé sans perte de temps, expliqué en deux phrases - tant pis pour ceux qui ne suivent pas - et toujours intelligemment illustrées afin de ne jamais perdre le spectateur en bavardages. On pourrait évoquer les codes du film d'espionnage, qui enrichissent cet univers de décors variés, où les archétypes et stéréotypes du film de voleurs, qui peuplent l'intrigue. On pourrait débattre des heures autour de l'incroyable scène d'action dans l'hôtel qui, si l'on se retient de la qualifier de "révolutionnaire", demeure le travail d'un visionnaire, au principe aussi innovant, si ce n'est plus, que celles d'un Matrix, et pourtant débarrassée de ses apparats numériques dernièrement jugées indispensables pour tout blockbuster moderne. Comme nombre de réussites du genre, Inception n'invente rien mais son traitement, lui, est tout bonnement impressionnant. Il s'agit là du film qu'une grande majorité du public verra, et ce film-là est déjà un puzzle éclatant. Mais il est bien, bien plus.

DREAMWEAVER

Accumulant l'intégralité des différentes récurrences thématiques de l'auteur, depuis son tout premier essai jusqu'à The Dark Knight, du moindre détail ou motif jusqu'aux grands arcs les plus fréquemment visités à travers sa filmographie, Inception semble être ce vers quoi Christopher Nolan a construit toute sa carrière. Dans Following, un personnage nommé Cobb s'introduit chez les gens, à la fois pour voler leurs biens, mais également pour fouiller dans leurs affaires, entrer dans leur intimité, examiner leurs vies. Dans Inception, Leonardo DiCaprio interprète un personnage nommé Cobb, et s'introduit dans l'esprit des gens, pour leur voler une idée...et cela faisant, il accomplit bien plus. On se rend compte à l'issue de la projection, et c'est sans doute la chose la plus épatante à propos du film, qu'en fin de compte le principal enjeu du récit s'avère être en réalité une sorte de psychothérapie. Ce qui n'est pas un hasard vu le haut tenant analytique des rêves. "Je suis très intéressé par le conflit entre la vision subjective d'un individu et la réalité objective" avait confié Nolan à la sortie d'Insomnia. Cobb est un pur protagoniste nolanien, mu par une obsession, rongé par le remords, hanté par l'être perdu et constamment désireux d'avoir le contrôle sur son monde, un monde où il est de plus en plus difficile de situer la réalité. Le héros anonyme de Following se fait mener en bateau et doit retourner l'arnaque contre son arnaqueur. Guy Pearce dans Memento doute de sa mémoire défectueuse et doit s'en remettre à ses polaroïds pour décerner le vrai du faux. Al Pacino dans Insomnia doute de sa conscience et doit magouiller pour couvrir le vrai avec le faux. Christian Bale dans Batman Begins met un masque - mais quel est le vrai masque, Wayne ou Batman? - pour reprendre sa vi(ll)e en main. Ne parlons mêmes pas des tours de magie que se jouent Bale et Hugh Jackman dans Le Prestige.

DREAMS ARE MY REALITY

Et pour tous, la culpabilité avec une illusion pour seul échappatoire : ne pas avoir pu sauver sa femme pour Guy Pearce (qui s'avère être en réalité responsable de sa mort mais refuse d'admettre la réalité et choisit de vivre dans l'illusion cyclique que son assassin court toujours) ; avoir tué son partenaire pour Al Pacino (qui vient à douter de l'aspect accidentel de ce meurtre et cache la réalité avant de l'avouer au seuil de la mort) ; avoir indirectement causé la mort de ses parents/de la femme qu'il aime pour Christian Bale (il admet la réalité mais se crée un alter ego pour survivre/il admet la réalité et va jusqu'à assumer la responsabilité des crimes d'un autre). Et donc DiCaprio, hanté par la mort de sa femme, qu'il a causé indirectement, se crée différents mondes - des rêves - où il la voit réapparaître pour le tourmenter. A ce titre, le film apparaît presque comme une étude métafilmique de Nolan sur son propre cinéma. L’une des figures de style récurrentes du metteur en scène est le recours à de furtifs flashbacks pour illustrer les souvenir qui hante ses protagonistes. Ici, ces souvenirs prennent littéralement forme, Nolan leur donnant corps en faisant d'eux des projections du subconscient qui font irruption au moment inopportun (les visions que Cobb a de sa femme lorsqu'il est dans le rêve d'autrui). Et il ne s’agit pas là du seul sous-texte autoréflexif du film. Tous les films de Nolan semblent poser cette question : l'illusion est-elle la seule catharsis possible? Inception évoque le besoin d'évasion, d'échappatoire via des mondes imaginaires. A l’instar de Le Prestige (dont la lutte entre showmen faisait écho à l’opposition entre un auteur soucieux de son art et un faiseur cherchant la reconnaissance du public), Inception se présente à nouveau comme une métaphore sur le cinéma. Les différents membres de l’équipe de voleurs sont autant de scénaristes, réalisateurs et acteurs des rêves qu’ils concoctent afin de mener à bien leur opération, pouvant dilater le temps comme seul le septième art le permet.

DREAMWORKS

A vrai dire, la littérature le permet aussi. Nolan avoue d'ailleurs s'être inspiré de l'œuvre de José Luis Borges, notamment Le Miracle secret. Dans la nouvelle, un écrivain, condamné à mort, prie pour que Dieu lui accorde une année supplémentaire afin qu'il puisse terminer sa pièce inachevée qu'il estime être l'œuvre de sa vie. Cette nuit-là, il rêve qu'il entend une voix lui dire que ce temps lui a été accordé. Le lendemain, il se retrouve face au peloton d'exécution, et lorsque le sergent donne l'ordre de tirer, le temps s'arrête. L'écrivain est paralysé mais conscient et comprend alors que Dieu a accepté sa requête. Ce récit semble trouver son origine dans l'histoire de l'échelle de Jacob, issue de la Bible. Sur le point de mourir, Jacob rêve d'un lieu entre la Terre et le Ciel. Le patronyme du héros d'Inception ne paraît pas fortuit... Si la thématique du film de Nolan trouve son inspiration dans ces écrits, son esthétique penche quant à lui vers le surréalisme de M.C. Escher et ses architectures paradoxales. Cela dit, témoignant une fois de plus du besoin de contrôle sur le monde, le cinéaste préfère rester plutôt terre-à-terre, même dans les rêves qui, dans le film, sont "construits" et sensés convaincre l'un des rêveurs qu'il s'agit du monde réel. Avant chaque tournage, Nolan projette un film à son équipe en guise d'inspiration. Pour celui-ci, c'était Pink Floyd The Wall. Et si l'on retrouve évidemment dans Inception l'influence du film d'Alan Parker - ses trips oniriques, sa narration éclatée, son personnage hanté par le passé, la réalité questionnée, la symbolique, etc. - Nolan ne laisse pas libre cours aux délires les plus fous. D'autres références cinématographiques évidentes parcourent le film que le réalisateur définit comme "The Matrix rencontrant James Bond". La nature globe-trotteuse de la trame est ainsi assez jubilatoire, surtout quand on se dit que tout se passe dans la tête des gens, permettant par ailleurs à Nolan de s'en donner à cœur joie et d'exorciser une envie que tout gamin britannique doit avoir. Néanmoins, les deux plus grandes influences de l'auteur sont Ridley Scott et Stanley Kubrick.

DREAM A LITTLE BIGGER

L'amour de Nolan pour Blade Runner n'est plus un secret pour personne. Et dans Inception, tant esthétiquement que thématiquement, l'influence s'en ressent. Chez Scott, le décor a toujours eu une grande importance, devenant presque un personnage à part entière du film (le vaisseau d'Alien, le Los Angeles dystopique de Blade Runner, l'Empire Romain de Gladiator, même Florence dans Hannibal, etc.), et chez Nolan, cette même notion se fait de plus en plus importante de film en film (la ville d'Insomnia coincée dans un jour perpétuel, le Gotham City cauchemardesque qui sert de background à Batman Begins et devient une partie importante de The Dark Knight). Cette fois-ci, les décors sont d'autant plus importants qu'ils sont des extensions des personnages qui les rêvent. On retrouve d'ailleurs, de manière plus subtile, la symbolique de The Wall, qui s'ouvre d'ailleurs sur un lent travelling oblique dans un long couloir d'hôtel...qui n'est pas sans rappeler les décors de Shining, autre film sur la réalité qui implose. Au travers de cette imagerie, on retrouve donc Kubrick, dont le spectre traverse également les passages en apesanteur qui renvoient évidemment à 2001, l'odyssée de l'espace. D'ailleurs, tout comme Kubrick, Nolan est souvent accusé d'être froid, que son cinéma est davantage cérébral qu'émotionnel. Si Inception est à plus d'un titre un film parlant à notre tête, il s'avère également être le film avec le plus de cœur que Nolan ait fait jusqu'à présent. L'ancrage émotionnel est bel et bien là. Tant et si bien qu'on pourra même lui reprocher de trop s'appuyer sur la musique pompière de Hans Zimmer, qui fonctionne pourtant par un crescendo qui enfle, et enfle, et enfle. Si The Dark Knight était un film d'idées, celui-ci est un film bien plus viscéral. Tout comme pour Batman Begins, qui avait surpris à ce niveau-là, le film n'est pas non plus exempt d'humour, s'appuyant pour cela sur la fine équipe de personnages secondaires, campé par un casting jeune de haute tenue, qu'on aurait aimé revoir si le film appelait à une suite. Mais ce n'est pas le cas. Et c'est tant mieux. Inception est de ses objets si précieux qu'on les préfère uniques. Un blockbuster pyschanalytique à 200 millions de dollars de budget. L'aboutissement d'une carrière et une renaissance en même temps. Le meilleur film de l'été et sans aucun doute l'un des meilleurs films de l'année. "Rêver est la grande aventure solitaire de la vie : quels que soient les plaisirs et les terreurs que nos rêves provoquent, nous les vivons seul". Si la technologie qui permet dans le film de rêver à plusieurs n'existe pas, on se rabattra volontiers sur son substitut, en allant rêver ensemble devant Inception.

par Robert Hospyan

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