In Another Country
Dareun Narayeseo
Corée du Sud, 2011
De Sang-Soo Hong
Scénario : Sang-Soo Hong
Avec : Isabelle Huppert, So-Ri Moon
Sortie : 17/10/2012
Dans un pays qui n'est pas le sien, une femme qui n'est à la fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, a rencontré, rencontre et rencontrera au même endroit les mêmes personnes qui lui feront vivre à chaque fois une expérience inédite.
LE PAYS OU L'ON N'ARRIVE JAMAIS
C’est peu dire que l’on attendait beaucoup de cette improbable rencontre entre l’un des tous meilleurs réalisateurs asiatiques (notre chouchou Hong Sang Soo) et la reine mère de toutes les actrices : la Huppert. Celle-ci poursuit son périple à travers le monde : après les Philippines avec Brillante Mendoza et avant L’Italie avec Marco Bellocchio, la voici qui fait escale devant la caméra du délicat et ironique Hong Sang Soo. L’addition donne-t-elle quelque chose de plus qu’une simple note d’intention? Et bien oui. Isabelle Huppert prouve tout d’abord à nouveau tout son talent en parvenant à se fondre complètement dans l’univers du cinéaste, alors qu’on n’imaginait pas forcément comment son côté cérébro-sanguin pouvait se fondre dans les douces tergiversations rohmerienne du cinéaste. Elle est une fois de plus parfaite, et surtout elle donne à voir une nouvelle facette de son jeu. Pour elle qui a souvent fait des choix étranges dans ce domaine, In Another Country s’impose comme la meilleure comédie de sa carrière. Pas la plus hilarante, mais la plus cinématographiquement aboutie.
Car comme tous les films de Hong Sang Soo, In Another Country est une comédie. Mais pas que. Une promenade douce-amère, à la fois optimiste et désabusée, sur les désirs humains. Anne débarque dans un pays dont elle ne connait pas la langue et où personne ne parle la sienne. Tout le monde s’exprime donc dans un idiome étranger, un anglais légérement maltraité par divers accents, mais qui traduit surtout la difficulté de chacun à formuler ses sentiments, à s’exprimer, à se comprendre soi-même. Car ces menus quiproquos linguistiques sont moins utilisés dans un but purement humoristique que pour traduire (même si c’est effectivement très drôle) d’une manière inédite la thématique du cinéaste : le décalage entre ce que tel personnage dit et ce qu’il fait, laissant entrevoir un émouvant abyme de frustration, d’hésitation. Les poèmes amoureux sont ici illisibles, il manque des mots dans la sérénade, l’alcool ou la sagesse religieuse n’apportent que des palliatifs provisoires. Les personnages sont avides d’amour, mais même quand quelqu’un la guide et lui indique le chemin, Anne ne trouve le phare de la plage que dans ses rêves.
Il est amusant de voir que le film a été programmé le même jour sur la Croisette que Like Someone In Love, autre film en exil. Si ce dernier était le film le moins théorique de Kiarostami, In Another Country est peut-être le plus conceptuel d’Hong Sang Soo : histoires dans l’histoire, répétitions et scènes en miroir, identités multiples… une réflexion autour de la création artistique, chère au cinéaste. L’histoire d’Anne est inventée de toute pièce, on le sait, et pourtant on ne cesse jamais d’y croire. Le génie du cinéaste réside en grande partie là-dedans : dans cette manière d’utiliser des ressorts théoriques sans jamais affaiblir le coté émouvant de ses personnages. In Another Country est par exemple beaucoup plus « vivant », simple, naturel que le film de Kiarostami. Car cette ronde d'élans amoureux répétés et avortés, ces jeux de miroirs entre les personnages et leurs destinées ne sont que le reflet de leurs errances sentimentales. Pas juste un reflet, plutôt une caisse de résonnance. Car aussi simple et léger qu’il paraisse, il s’agit d’un très grand film, ample et émouvant.