Immortel
France, 2003
De Enki Bilal
Scénario : Enki Bilal, Serge Lehman
Avec : Linda Hardy, Thomas Kretschmann, Charlotte Rampling
Durée : 1h42
Sortie : 24/03/2004
New York, 2095. La pyramide des divinités égyptiennes flotte au-dessus de Manhattan. Jill Bioskop pleure des larmes bleues. Pour elle, le dieu Horus à tête de faucon a traversé l'univers. Horus n'a que sept jours pour sauver son immortalité. Il doit ainsi trouver Jill dans le labyrinthe de cette mégapole, et la séduire. Mais avant cela, il doit se réincarner dans un corps humain sain: ce sera celui d'un prisonnier politique, Acilde Nikopol, déporté dans une prison orbitale. Un étrange ménage à trois se forme.
LE FILM PIÈGE
Pour cette troisième incursion derrière la caméra, Enki Bilal adapte librement son œuvre majeure, la BD culte la trilogie Nikopol, mélangeant ainsi les intrigues de "La Foire aux immortels" et "La Femme piège", et les transposant dans un New York futuriste et décadent. Les aficionados de l'univers de Bilal seront ravis de retrouver à l'écran la puissance de son travail pictural. Les pages des albums prennent vie, et certaines scènes, notamment celle de la rencontre d'Horus et de Nikopol dans une station de métro désaffectée, sont reproduites à l'identique. Enki Bilal a ainsi retenu certaines leçons de ses précédents films, et s'est offert les moyens de retranscrire son univers à l'écran grâce à l'important budget octroyé par Charles Gassot et les effets numériques de la société Duboi. Les décors sont somptueux, le New York de 2095 créé de toutes pièces par la magie des effets de Duboi flatte nos pupilles. On retrouve l'ambiance des albums de Bilal, la décrépitude et le spleen des villes de l'ex-bloc soviétique transposés dans une mégapole occidentale, dont l'architecture mélange les styles moderne et rétro-futuriste. Des taxis volant sortis d'un épisode de Valérian sillonnent entre les buildings, des dieux en apesanteur jouent au monopoly, une femme mi-humaine subit un lifting brazilien, une pluie de containers de prisonniers politiques tombe sur New York, le film est ainsi parsemé de nombreuses visions fantasmagoriques.
SYNTHÈSE ERROR
Hélas un manque d'esprit de synthèse fait défaut au film. On peut ainsi se demander pourquoi Enki Bilal utilise le numérique pour certains personnages (le sénateur Allgood Jr. et son assistante), dont le rendu est à peine digne d'une démo de jeu vidéo, d'où cette désagréable sensation d'assister à la projection d'un film parasité par des pubs pour un produit multimédia. Ce patchwork composé d'acteurs réels et virtuels est fatal à la cohérence scénaristique et esthétique de l'œuvre. De plus, la multiplication des intrigues conforte cette impression de collage brouillon. Enki Bilal se perd dans des récits parallèles confus. Heureusement, le trio formé par Jill la mutante, Nikopol l'humain à la jambe d'acier, et Horus le dieu orgueilleux à l'immortalité instable, maintient l'intérêt et tire l'œuvre vers une poésie inattendue. La métamorphose de Linda Hardy (ex-Miss France) en Jill Bioskop est parfaite. Thomas Kretschmann, vu récemment chez Costa-Gavras et Roman Polanski, est le digne successeur de Bruno Ganz, l'acteur allemand qui servit de modèle pour le personnage d'Alcilde Nikopol. Quant à Horus, le personnage emblématique de la série, contrairement aux autres protagonistes numériques, sa transposition à l'écran est une réussite. Dommage que Bilal n'est pas centré son intrigue sur ce curieux ménage à trois. Malgré quelques fulgurances visuelles sorties d'un poème de Baudelaire, le film s'avère dans l'ensemble inégal, la faute à une intrigue lâche et des personnages de synthèse défaillants.
En savoir plus
LE DVD
IMAGE ET SON Produit dans un souci de qualité visuelle, le DVD de TF1-Vidéo retranscrit parfaitement les belles images – quoique parfois imparfaites – du film d’Enki Bilal. Le transfert plein cadre en 1.85 retranscrit à merveille les contrastes et les nombreuses zones d’ombre sans la moindre perte de qualité. Dupliqué à partir d’un master parfait, il laisse parfois malheureusement ressentir de façon plus frappante que sur grand écran la présence des effets spéciaux numériques. La partie sonore est à nouveau irréprochable et propose la VO et la VF mixées en 6.1 à la fois en Dolby Digital ou en DTS. L’environnement sonore particulier de Immortel est à nouveau parfaitement servi par des mixages qui mettent l’accent sur une parfaite balance.
BONUS
Outre le commentaire audio du réalisateur – intéressant et parfois lucide par rapport aux réussites et échecs de son film – le second DVD regroupe un certain nombre de documentaires et featurettes destinés à approfondir la vision de Bilal. Regroupés en trois sections tournant autour d’un quatrième menu central, ils ont pour thème Bilal lui-même, l’aspect technique du film ou encore la musique. Chacun de ces menus est l’occasion de créer une ambiance visuelle et sonore assez bluffante et intéressante.
- Dans la première section, on retrouve Bilal à la rencontre de son public. Craignant l’échec, UGC a organisé un certain nombre d’avant-premières à Paris où le réalisateur présente son film et se livre ensuite à une série de questions-réponses afin de souligner ses intentions. Assez anecdotique car trop court et trop monté, il n’apporte que peu d’informations, contrairement à la Master Class donnée à la FNAC en compagnie de deux journalistes de Ciné Live. Plus long (une vingtaine de minutes), Bilal se livre plus entier, et définit réellement les axes qui l’ont poussé à faire ce film. Enfin, on retrouve dans Enki Bilal face à son atelier, le réalisateur chez lui, avec ses propres images, travaillant sur un album de bande dessinée. Un commentaire audio optionnel raconte les images et y décrit les frontières entre le film et la bande dessinée.
- La partie technique présente deux documentaires d’une trentaine de minutes chacun. Le premier, le Making of Immortel Ad Vitam consiste en un documentaire classique sur le genèse du projet, entrecoupé d’interviews des principaux intervenants (acteurs, réalisateur, producteurs, etc.). On revient sur l’originalité du projet et les étapes de production, qui ont bien souvent été une première en France (notamment l’utilisation d’animatiques et de storyboards en 3D). De son côté, le Making of technique est constitué d’une douzaine de petits modules revenant chacun sur un aspect particulier de la production. Particulièrement intéressants pour les férus de technique, ces petits documentaires sont remarquablement clairs et bien construits, montrant par l’exemple l’animation, le compositing ou bien les décors.
- Le dernier menu permet de rencontrer Goran Vejvoda, compositeur du film. Il revient sur les circonstances de sa rencontre avec Bilal ainsi que sur leur collaboration. La courte interview est couplée à la possibilité d’écouter dix-huit morceaux inédits du compositeur, dont les accents permettent de replonger dans le New York de 2095 d'Enki Bilal. L’autre documentaire présent dans cette partie est centré autour du co-scénariste et romancier de science-fiction, Serge Lehman. Construit comme une discussion entre Enki Bilal et Lehman, ils reviennent ensemble sur la thématique et la perception du film par le public.
Nicolas Plaire