Hors normes

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Hors normes
France, 2019
De Olivier Nakache, Eric Toledano
Scénario : Olivier Nakache, Eric Toledano
Avec : Vincent Cassel, Reda Kateb
Photo : Antoine Sanier
Musique : Grandbrothers
Durée : 1h54
Sortie : 23/10/2019
Note FilmDeCulte : *****-
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Bruno et Malik vivent depuis 20 ans dans un monde à part, celui des enfants et adolescents autistes. Au sein de leurs deux associations respectives, ils forment des jeunes issus des quartiers difficiles pour encadrer ces cas qualifiés "d'hyper complexes". Une alliance hors du commun pour des personnalités hors normes.

THÈME ET VARIATIONS

Le cinéma de Éric Toledano et Olivier Nakache est avant toutes choses une question de rythme. Cette notion se retrouve à travers l'environnement afilmique, par la structure même de leurs récits sans cesse schématiques, où l'imprévisible reste tout de même engoncée dans une écriture très réglée; et celui profilmique, directement inclus et compris par les acteurs de la diégèse. Hors normes, leur dernier film en date, n'échappe pas à cette modalité rythmique, puisqu'en plus de projeter un certain didactisme au spectateur, elle permet également de devenir elle-même un élément linguistique universel, dans cette histoire où se croisent des jeunes en situation de handicap, d'autres en réinsertion, et des adultes à la responsabilité gigantesque.

ARGUMENT D'AUTORITÉ(S)

La structure du récit, comme dit précédemment, développe alors en son sein une structure très claire, régie par différents facteurs de soumission. La première soumission est la plus évidente, puisqu'elle est de prime abord extra-diégétique: il s'agit de l'histoire vraie. Cette strate de récit, développée sous la forme d'interviews indépendantes de toute perturbation d'arc narratif, donne une approche réelle du sujet traité de manière fictionnelle par le récit, symbolisé par exemple par de très simples champs-contre-champs pour signifier ce dialogue assis devant une table. Si ce palier narratif propose un certain didactisme pour une meilleure compréhension de l'urgence quotidienne réelle de ces associations débordées, elle n'intervient souvent qu'en retard, ou à rebours, de la fiction qui l'a bien souvent dépassé. Plus que de l'explication, elle apparaît comme battue par ses actants, plus vifs et surtout plus à l'écoute de ceux qui ont besoin d'aide. Cette autorité, sans cesse mise à mal par une mécompréhension du problème, ne retrouve sa force que lors du verdict final, placé avant les images, couperet final d'un récit clôturé par celui-ci.

Le deuxième palier d'autorité, fait de verticalité, concerne alors les actants directs de la fiction, de Vincent Cassel et Reda Kateb parfaits en éducateurs face à l'imprévisibilité de chacun de leurs "employés" ou des enfants handicapés qu'ils ont à leur garde. Plus que d'être des personnages, ils participent au relais de la mise en scène. Les réalisateurs délèguent finalement leur position aux deux protagonistes pour accroître le réalisme des scènes tout en appuyant finalement leurs responsabilités et leur position dans le récit. Et ainsi de suite: les jeunes qu'ils réinsèrent dans la société doivent s'occuper eux-mêmes des enfants handicapés tout comme leur vie privée, sans cesse obstruée par leur nouveau métier. Tout ce carcan schématique, libéré de ses chaînes par le pire en fin de métrage, va donc plus loin encore que sa prévisibilité: elle raconte une hiérarchie, une organisation imposée à détourner dans les instances les plus hautes dans le but d'inclure chacun à leurs niveaux respectifs, et rendre une liberté que chacun apprécierait. L'artifice structurel trouve alors son sens lorsqu'il est vaincu. Il est certain que son côté "clandestin mais pas trop", avide d'une liberté qui doit conserver une certaine rigidité hiérarchique, avec une notion d'ordre à conserver, peut toujours gêner dans une décennie où chacun semble piégé dans un étau; mais dans le cas présent, est-il possible de faire autrement ?

BOOGIE WONDERLAND

Dans la diégèse même du film, la question de rythme se retrouve dans un dénominateur commun des films du célèbre tandem français depuis au moins Intouchables : la danse. Entre la rupture disco dans un décor classique dans le film cité ci-dessus, au final sous forme de musical de Samba, elle en devient une intrusion fédératrice, mais aussi un langage compréhensible par chacun. Sa musicalité, quoique parfois désorganisée, trouve une cohérence et un tempo abordables pour tout un chacun dans le film, utilisable comme bon lui semble. Le langage, dans Hors normes, est pourtant l'élément énigmatique durant les presque 2 heures de film : un claquement de mains, un marmonnement incompréhensible, est une donnée urgente à comprendre.

Par la réplique hésitante du personnage joué par Vincent Cassel sur le comportement d'un jeune violent malgré lui jusqu'au personnage de Dylan, caricaturé « jeune de cité » obligé de se réinsérer dans l'association portée par Reda Kateb, les signes devenus éléments de langage des différents jeunes atteints en très grande partie d'un autisme sévère sont des éléments à déchiffrer, et à apprivoiser. Chaque figure émise se décode progressivement pour atteindre l'enfant qui ne demande qu'à être compris par celui-ci. Le but du récit étant de prouver l'adaptation à ces jeunes, il ne convient alors plus d'interpréter et comprendre, mais de déplacer les signes dans un sens commun, compréhensible par tous. Il n'en fallait pas plus pour Éric Toledano et Olivier Nakache pour déplacer eux-mêmes leurs gimmicks dansants au profit cette fois-ci d'un appel du pied et d'un moulinet de bras, se servir donc de la chorégraphie pour unifier les jeunes enfants rejetés de tous par un signe corporel universel, ancien réunificateur de peuples. Déjouer un code propre à un auteur permettrait alors de rassembler. Et cette idée d'homogénéité, par l'inclusivité de tous ces enfants, s'entend par la juste musique des Grandbrothers, où les tintements des instruments se multiplient pour terminer en un concert harmonieux.

Hors normes est plus qu'un patchwork uniquement dramatique de la filmographie de ses réalisateurs. C'est un film qui s'interroge sur son propre système filmique et sur ses éléments linguistiques, que l'on pensait pourtant usés jusqu'à la moelle. Son ambition de mêler fiction et réalité, pourtant séparés, trouvent leur sens ici dans l'obligation de communiquer de manière claire, et donc de solidifier chaque corps pour permettre ceci. Un succès en salles serait mérité.

par Tanguy Bosselli

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