Hic
Hukkle
Hongrie, 2002
De György Palfi
Scénario : György Palfi, Zsofia Ruttkay
Avec : Ferenc Bandi, Agi Margitai, Jozsefné Racz
Durée : 1h15
Sortie : 01/10/2003
Dans un village hongrois (ou ailleurs), la vie semble s’être calée sur les hoquettements d’un de ses habitants. Jusqu’à ce que des morts inexpliquées commencent à s’accumuler…
TEMOIN MUET
À quoi peut bien tenir un film? À ce plan en particulier qui rattrappe tous les autres? À la voix de cet acteur, à cette note de musique? Ou à un mariage de toutes ces composantes? Hic, film hongrois insolite, suscite, de par sa position d’ovni, une interrogation proche. À quoi tient ce film qui ne ressemble à aucun autre, où le scénario se contente d’être un cordon rouge parfois à peine visible, malmené sur d’improbables chemins de traverse aussi sinueux qu’enchanteurs? György Palfi, le réalisateur et scénariste, ne joue pas sur une action conventionnelle ou des mots échangés, mais sur cet indicible fluide qui rend l’objet magnétique, séance d’envoûtement à coups de boucles visuelles ou sonores. D’ailleurs, ici, on ne parle pas. On bruite, on hoquette, on grogne, mais on ne pipe pas mot. Tout juste un "hic" qui scande un conte déroutant, où les humains se confondent avec les animaux qui les entourent. Privés de parole, il n’ont plus grande différence avec les peuples de l’herbe qui grouillent autour des chaumières du village. Silence, on tourne.
L’HORREUR GASTRONOMIQUE
Dans Hic, l’horreur est inévitable parce qu’elle est un cycle propre au quotidien. L’épouvante naît dans un coin de jardin ou au bord de l’assiette. Voilà bien la pire des horreurs, la plus ignoble des abjections: manger, avaler, déglutir. L’affreuse chaîne alimentaire défile sous nos yeux vers sa fin inéluctable, où chaque membre du ballet muet finira mâché ou recraché. Pouah splanchnique ou dégoût viscéral, la sensation est au rendez-vous. Car Palfi sait y faire pour chatouiller la chair de poule ou les nerfs nonchalants en organisant son théâtre du tout-sensitif. Quelle horreur plus ineffable que celle de la peau d’un serpent qui se déroule très lentement pour s’étendre vers l’infini? Quel plus grand effroi que celui des masses grouillantes, du hors champ tremblant qui fait hurler l’animal domestique, étranger à cette naturelle sauvagerie? Si les épaules de Hic sont trop larges pour enfiler le costume d’un genre unique, voilà en quoi il tire néanmoins de façon régulière vers l’horreur. Parce que sans mot, avec ce regard particulier qui sort de l’ordinaire, le quotidien peut se perdre dans un vertige indompté où les bêtes rugissent tandis que l’homme redevient bête.
SI ON CHANTAIT
Au-delà de l’éventuel malaise, Hic est aussi un petit catalyseur mystérieux d’un émerveillement permanent. Découverte de chaque plan et surprise de chaque seconde, le récit et sa mise en scène, balancés sur son chemin privé de macadam, tiennent de la magie continuelle. Celle d’une chorégraphie de moutons dont les parures laineuses apparaissent comme des ardoises si l’on pose son regard au plus près, ou du parcours sous-terrain d’une taupe égarée dans le décor. Palfi s’attarde sur le non-événement pour capter ses ondes surnaturelles par le biais d’un simple cadre trop serré ou trop insistant. Ses vignettes reliées avec une céleste limpidité accouchent d’un miracle cinématographique aussi stimulant qu’euphorisant. Et lorsqu’événement il y a, que les corps muets se trainent dans un même mouvement vers le cimetière, il n’y a plus que les chansons au verbe sybillin pour exprimer les sentiments retenus. Si ton mari te tue, rend-le lui bien. Si le film t’a plu, tape dans tes mains.