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États-Unis, 2024
De Robert Zemeckis
Scénario : Eric Roth, Robert Zemeckis
Avec : Paul Bettany, Tom Hanks, Kelly Reilly, Robin Wright
Photo : Don Burgess
Musique : Alan Silvestri
Durée : 1h44
Sortie : 06/11/2024
Note FilmDeCulte : *****-
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L’histoire de familles dont les peines, les joies et les moments de doutes se font écho à travers les générations.

A NOS AMOURS

Dès l'annonce du projet, une improbable adaptation de la déjà extraordinaire bande-dessinée atypique de Richard McGuire, le matériau apparaissait taillé sur mesure pour le cinéaste, fasciné depuis toujours par le passage du temps, une force inéluctable à laquelle ses personnages, malgré leurs efforts, ne parviennent jamais à se soustraire, nonobstant des événements plus grands que nature. Tu peux voyager dans le temps ou boire un élixir d'immortalité (ou construire un radeau ou mener l'enquête sur ta femme possiblement espionne), le temps te rattrapera toujours. Il n'y a qu'une seule capable de transcender l'espace et le temps, et tous ceux qui se souviennent de ce que Christopher Nolan faisait dire à Anne Hathaway dans Interstellar, en réponse à la logique rationnelle masculine, connaissent déjà la réponse (attention sentimentalisme) : c'est l'amour. Et c'est l'une des idées-maîtresse du cinéma de Robert Zemeckis.

Ce n'est pas un hasard si le metteur en scène a choisi de réunir le couple (et l'équipe) de Forrest Gump, sa grande histoire d'amour, pour cette nouvelle exploration de l'amour à l'épreuve du temps. Mais ce que Zemeckis et son co-scénariste Eric Roth signent cette fois, c'est l'anti-Forrest Gump, rejouant encore une fois l'histoire de l'Amérique - remontant même jusqu'aux dinosaures cette fois ! - mais sans sortir d'un simple lieu et de son quotidien à dessein tout sauf plus grand que nature. La sublime introduction muette qui annonce d'emblée le programme, et le dispositif narratif et visuel du film consistant en "fenêtres" multiples sur différentes temporalités d'un même axe, comprend la seule scène "spectaculaire" du film, située à la préhistoire. Tout le reste, même ce qui concerne l'une des deux seules guerres combattues sur le sol américain, sera éllipsé au profit d'une banalité assumé dans laquelle réside précisément le cœur du projet.

En s'attachant à ce simple salon d'une maison, un endroit commun, dans tous les sens du terme, Zemeckis laisse l'histoire se répéter, comme il aime le faire (cf. les échos délibérés à travers la trilogie Retour vers le futur, à travers le parcours de Forrest, dans la vie de Beowulf, etc.), pour mieux toucher à l'universalité de l'expérience humaine (même si je regrette l'absence de la moindre expérience pas hétéronormée), fondée sur la mémoire, le souvenir de moments plus ou moins triviaux, mais surtout plus. Parce que ce sont souvent les petits riens de la vie de tous les jours qui restent en tête, qui traversent le temps, faisant coexister passé et présent.

Ainsi, le parti-pris formel offre l'occasion de juxtapositions tantôt ludiques, tantôt émouvantes et parfois proprement vertigineuses dans une incroyable fusion des arts, entre théâtre et installation d'art contemporain, où l’œil du spectateur est sans cesse sollicité à fureter dans le(s) cadre(s), dans la profondeur de champ (et les quelques rares entorses sont géniales), pour saisir l'entièreté de la vie qui se déroule, s'est déroulée, et se déroulera devant nos yeux, de ce temps qui passe inexorablement, détruit, élève, fait naitre, vieillit et tue. On notera aussi comme, dans cette espèce de frise de l'évolution, le film ne s'attarde jamais artificiellement sur les progrès technologiques pour donner dans la nostalgie facile. La grosse radio cède la place à différentes télévisions, les modèles de voitures aperçus par la baie vitrée changent régulièrement et l'une des temporalités évoque les débuts de l'aviation, mais Zemeckis donne étrangement la part belle, dans une autre trame, à une invention absolument pas révolutionnaire et symbolique d'un sédentarisme à-propos : le fauteuil inclinable. Il y a là aussi un refus délibéré de se concentrer sur ce qui fait réellement bouger les choses...peut-être justement parce que les choses ne changent pas?

S'il y a un soupçon de politique dans cette peinture, elle émane de détails, semblablement insignifiants mais parfois lourds de sens, comme le statut social de la seule personne qui meurt du Covid, ou prenant un autre sens dans le contexte, comme ce conseil d'un père noir à son fils, tristement aussi trivial que toutes ces autres tranches de vie. Et que dire de cette réplique d'un soldat à qui on annonce que l'Amérique a obtenu son indépendance ("Now what?"). Après tout, c'était déjà la trajectoire de Forrest Gump, qui traversait les grands épisodes de l'Histoire des États-Unis mais n'y changeait rien, continuant de s'interroger sur son "destin". Ici, le protagoniste interprété par Tom Hanks ne peut même pas échapper au sort de son père, devenant son double, exactement comme le craignait Marty McFly. Le seul bonheur, la seule constante, c'est, comme dans Alliés, où le couple baisait dans une voiture isolée au milieu du désert, protégés d'une tempête de sable aussi métaphorique que le bombardement durant lequel ils accueilleraient la naissance de leur fille plus tard, l'amour. C'est ça que nous dit Zemeckis. Le temps passe, l'histoire se répète, l'humain ne peut qu'aimer. Rideau.

par Robert Hospyan

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