Henge
Yoshiaki et Keiko forment un couple tout ce qu’il y a de plus normal – mis à part qu’Yoshiaki est parfois en proie à de violentes convulsions. Sous hypnose, il parle dans une langue inconnue. Son médecin souhaiterait le placer dans un institut spécialisé, mais Keiko refuse de l’abandonner à son sort. Le parasite qui prend corps dans l’esprit de Yoshiaki devient de plus en plus gourmand, se transformant bientôt en un immonde insectoïde.
LA FIÈVRE AU CORPS
Présenté hors compétition au 20ème festival de Gérardmer, Henge (littéralement, "transformation") fait partie des diamants noirs de la sélection ; un premier film étonnant, qui traite autant de la métamorphose d'un corps que de celle d'un couple. En seulement 54 minutes d'une efficacité redoutable, et en dépit d'un budget qu'on imagine minuscule, Hajime Ohata réussit le tour de force d'évoquer tour à tour le shintoïsme, Kafka, Tsukamoto, Cronenberg, X-Or et Godzilla, tout en livrant un film très personnel.
Principales qualités de Henge, la foi inébranlable de Hajime en son histoire, le traitement premier degré qui en découle, et la simplicité avec laquelle il la raconte. Beaucoup de réalisateurs passant du court au long commettent l'erreur de vouloir trop en mettre ; ici, c'est l'inverse, le script semble avoir été totalement dégraissé du superflu pour ne s'attacher qu'à l'essentiel. La moindre scène, le moindre plan font sens, toujours au service du récit, jamais pour l'épate. Sur le plan narratif, si le personnage de Yoshiaki subit les mutations, c'est à travers les yeux de Keiko, son épouse, que l'on vit cette histoire. Elle aime son mari, souffre par procuration du mal qui le ronge, et au fond le film ne raconte rien d'autre que leur épreuve, leur capacité à faire évoluer leur couple en y intégrant l'inconnue que représentent ces changements dévastateurs. Comment vivre avec la maladie de l'autre ? Comment décider pour quelqu'un qui n'est plus tout à fait lui-même ? Jusqu'où peut-on aller par amour ? Traitant toutes ces questions en filigrane, c'est un peu comme si Hajime Ohata avait réalisé sa propre version d'Amour, avec force convulsions, excroissances, giclées de sang et amours insectoïdes, à un rythme effréné et sur une bande son saturée d'infra-graves. Concis, percutant et aussi émouvant que jouissif, Henge est une petite bombe amorcée par un cinéaste à suivre.
Olivier Sarrazin