Hard Candy
États-Unis, 2005
De David Slade
Scénario : Brian Nelson
Avec : Sandra Oh, Ellen Page, Patrick Wilson
Photo : Jo Willems
Musique : Harry Escott, Molly Nyman
Durée : 1h45
Sortie : 27/09/2006
Après avoir passé quelques temps à discuter sur internet, Hayley, 14 ans, et Jeff, 32 ans, se donnent rendez-vous dans un café. Après discussion, ils vont chez lui. Mais le prédateur n’est pas celui que l’on croit…
SO DARK THE CON OF MAN
Première séquence. Deux interlocuteurs, Lensman319 ("homme à lentille") et Thongrrrrrrl14 ("fille à string"), échangent une discussion par écrans interposés via Internet. A l’écran, un gros plan du moniteur du PC. Rien d’autre. Qui se cache derrière ces pseudonymes? Derrière ces icônes, un appareil photo et un cœur? Et surtout, qu’est-ce qui se cache derrière ce bref échange auquel on assiste, où chaque partie joue déjà un rôle, protégée par écran et clavier? Brève introduction d’à peine plus d’une minute, cette scène matricielle donne le ton à venir de ce premier long métrage de David Slade. Simple mais efficace, sachant manier l’art du dialogue et de la suggestion pour mieux instaurer la tension (les cadres serrés, le son des touches que l’on tapote), l’ouverture de Hard Candy est à l’image du reste du film, un travail sur l’image et le son allant même jusqu’à s’aventurer par moments sur des pistes expérimentales. La première rencontre qui aura lieu ensuite annonce la couleur en ce qui concerne le filmage du face à face qui composera l’intégralité du métrage. Beaucoup de gros plans, proches des visages, de manière à se concentrer sur la joute entre les comédiens (deux performances remarquables), où le décor n’est qu’accessoire, rendu flou par la longue focale, mais également pour illustrer une fois de plus la question constamment posée par la mise en scène du film: que devine-t-on derrière ces apparences? "Est-ce que mon visage ment?", demande la jeune fille au photographe, lorsque celui-ci évoque la facticité rencontrée dans son métier. Tout au long de l’œuvre, il nous faudra lire entre les lignes comme on regarde entre les lames d’un store, pour deviner la vérité perçant au travers.
NOT ANOTHER TEEN MOVIE
Quel jeu joue Hayley? Quelle sombre secret est enfoui dans le passé de Jeff? Adoptant une esthétique on ne peut plus léchée, Slade s’inspire de son travail dans la pub pour créer un univers formel en adéquation avec la notion de façade qu’entretient le récit. Le film joue à fond la carte de l’imagerie publicitaire, comme en témoigne ce ralenti outrancier dans la voiture de Jeff. A l’instar d’un spot, les protagonistes "vendent" une image qui n’est pas la réalité. Hayley n’est pas innocente. Jeff n’est pas inoffensif. Avec sa nouvelle Mini et son appartement qui fait office de studio photo, il n’est que faux-semblants. Une fois que l’on arrive chez Jeff, la mise en scène se fait encore plus significative. On avait remarqué dans le générique la présence inédite d’un "digital colorist". Jusqu’alors, son travail semblait ne consister qu’à l’étalonnage lisse de ces images polies. Soudain, les couleurs viennent jouer un tout autre rôle. Brisant toutes les règles de continuité, Slade et son "colorisateur numérique" changent les teintes chromatiques d’un plan à l’autre selon l’humeur des personnages et surtout selon la situation. Presque surréaliste, l’approche de Slade se fait quasi-expressionniste. Les cadres millimétrés cèdent la place à la caméra portée et le visuel propret auquel nous avait habitués le réalisateur vient peu à peu être perturbé au fur et à mesure que le "rencard" vire au cauchemar. En bon iconoclaste, Slade gratte les images sages incarnées par Jeff et Hayley. Le jeune homme propre sur lui est sali. Et Le Petit Chaperon Rouge est un loup.
ET LA MORALE DE L’HISTOIRE…
Le pouvoir des images de Slade n’est pas à remettre en cause. Il faut voir comment il parvient à suggérer la pire des atrocités sans rien employer d’autre que le son du clic d’une souris ou comment il installe le malaise en effectuant plusieurs panoramiques successifs sur une surface rougeâtre non-identifiée lors d’une scène pour le moins extrême. En réalité, c’est le scénario qui pèche sur la fin. Les dialogues sont bons et le huis-clos marche pendant une bonne heure au moins mais très vite, les événements deviennent prévisibles, jusqu’à verser parfois même dans le cliché pur et simple, attendu dans ce genre de film (film de prise d’otage et de torture, à la Swimming With Sharks). Cependant, la réelle défaillance majeure de Hard Candy se joue sur le rôle que l’ambivalence morale maintenue tout le long joue quant au dénouement du film. Slade et son scénariste, Brian Nelson, ont délibérément souhaité ne pas donner de leçon. En soi, le choix est courageux. Au cours de son interrogatoire et de sa persécution du personnage de Jeff, Hayley n’appelle presque qu’à de l’antipathie de la part du spectateur. Ses réparties malignes aux supplications de sa victime, ses ruses pour découvrir ses méfaits (sur lesquels le doute est préservé un bon moment), tout semble fait pour que l’on sympathise avec le pédophile plutôt que l’ange de la vengeance. Couillu. Seulement sur les dernières minutes, la caractérisation jusqu’alors plutôt rondement menée tombe dans le thriller de bas étage et surtout, ne partage pas avec le public la logique qui semble guider sa conclusion. Une fin indéniablement décevante donc pour un film qui, après une première heure exemplaire, fait lentement retomber le soufflé, sans lui ôter cependant ses qualités. Révélation de talents à suivre de près (David Slade mais également la jeune Ellen Page, aperçue dans X-Men 3), Hard Candy vaut le détour.