Guerre des mondes (La)

Guerre des mondes (La)
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Guerre des mondes (La)
War of the Worlds
États-Unis, 2005
De Steven Spielberg
Scénario : David Koepp
Avec : David Alan Basche, Justin Chatwin, Tom Cruise, Dakota Fanning, Miranda Otto, Tim Robbins
Photo : Janusz Kaminski
Musique : John Williams
Durée : 1h57
Sortie : 06/07/2005
Note FilmDeCulte : ******

Père de famille divorcé, Ray a la charge de ses deux enfants pour le week-end. Leurs vies vont basculer avec l'arrivée d'extra-terrestres peu pacifiques...

A BOY’S LIFE

De son propre aveu, Steven Spielberg se dit "incapable de réaliser un film comme E.T. aujourd’hui". Deux événements marquants forgeront une grande partie du cinéma de Spielberg et aboutiront entre autres à la naissance de deux chefs-d’œuvre. Il y a tout d’abord cette nuit où le père du jeune Spielberg débarque dans sa chambre pour le réveiller, l’habiller et l’emmener avec le reste de la famille vers une destination dont il garde le secret. Une fois sur place, ils assisteront à une pluie de météores à travers les cieux. Quelques années plus tard, les parents du jeune Spielberg divorcent. Les deux chefs-d’œuvre susmentionnés sont bien évidemment Rencontres du troisième type et E.T. l’extra-terrestre. Tous deux prennent comme toile de fond une histoire extraordinaire (l’arrivée d’êtres venus d’ailleurs) sur laquelle le réalisateur tisse une histoire plus personnelle, plus intime (la passion/obsession d’un père qui abandonne sa famille ou le substitut de figure paternelle). Aujourd’hui, avec La Guerre des mondes, rien n’a changé. Ou si peu. Le cinéaste choisit à nouveau de situer un drame familial au cœur d’une situation aux dimensions épiques. Cependant, cette fois, les aliens ne sont plus de gentilles petites créatures mais des envahisseurs. A priori, le point de départ reste le même mais Spielberg ne peut refaire E.T. ou même Rencontres du troisième type. Aujourd’hui, Steven Spielberg est père de famille. Aujourd’hui, Steven Spielberg vit dans une Amérique post-11 septembre. Le cinéaste a beau être en territoire familier, voire même en territoire conquis, il surprend avec un fond qui se veut l’écho de l’actualité et une forme qui n’a jamais mieux servi son sujet.

Dès le départ, le scénariste David Koepp et Steven Spielberg s’étaient imposé plusieurs règles concernant le script. Pas de destructions de monuments et bâtiments célèbres. Pas d’acharnement superflu sur New York. Pas de politiciens ni de scientifiques ni de généraux en tant que principaux protagonistes. En gros, ils cherchaient à tout prix à éviter de refaire Independence Day. Le film de Roland Emmerich (l’homme qui voulait être Spielberg à la place de Spielberg) avait relancé le genre du film catastrophe en s’inspirant notamment assez librement de plusieurs idées présentes dans le roman original d’H.G. Wells. C’est pourquoi pendant longtemps Spielberg a refusé de réaliser ce projet qui lui tenait à cœur. On peut aisément voir La Guerre des mondes comme un croisement entre Independence Day et Signes de M. Night Shyamalan, cinéaste lui aussi très influencé par Spielberg. Il emprunte au premier l’aspect plus grand que nature tout en favorisant une focalisation interne à échelle humaine, à l’instar du second, duquel il se rapproche également par son traitement de la peur. L’ouvrage présente donc des récurrences thématiques chez l’auteur, devenues aujourd’hui évidentes, comme cette famille dysfonctionnelle (suite à un divorce) où l’enfant est précoce (casting judicieux de la très jeune mais talentueuse Dakota Fanning, tant critiquée pour sa maturité surnaturelle) et le père est une figure absente. Dans le cas présent, Ray Ferrier est un adulte immature (Tom Cruise, loin d’être M. Tout-le-monde, s’avère d’ailleurs adéquat compte tenu de cette facette du personnage) qui renvoie directement au Roy Neary de Rencontres du troisième type. Seulement aujourd’hui, les extra-terrestres ne sont plus gentils. A l’inverse du personnage campé autrefois par Richard Dreyfuss, le protagoniste de La Guerre des mondes ne choisit pas d’abandonner sa famille pour assouvir un rêve d’enfant mais choisit de la protéger, devenant le bon père qu’il n’a jamais été pour ses enfants. Aujourd’hui, Spielberg est père de famille.

LES CENDRES DU TEMPS

En ce qui concerne le traitement de la peur à l’écran, l’exercice ne repose pas tant sur son scénario (linéaire et carré, comme toujours chez Koepp) mais bien plus sur sa mise en scène, une mise en scène de l’instant. Qu’il s’agisse de l’arrivée dévastatrice des tripodes ou bien d’un huis-clos claustrophobique dans une cave, le film provoque tour à tour la terreur, l’effroi, la tension, adoptant l’un après l’autre différents aspects de la peur. Spielberg a déclaré qu’il n’aurait probablement pas fait le film si le 11 septembre n’avait pas eu lieu. "Après le 11 septembre, La Guerre des mondes est une réflexion sur à quel point nous sommes effrayés". Lorsque nous parvenaient les images du World Trade Center percuté par des avions, enflammé, et bientôt effondré, la similitude avec des films tel qu’Armageddon était troublante, voire dérangeante. La question se posait alors immédiatement: comment pourrait-on faire un film catastrophe après les attentats du World Trade Center? Pour une fois, Emmerich avait précédé son modèle avec Le Jour d’après, en apportant quelques éléments de réponse, mais c’est Spielberg qui viendra y répondre comme il se doit. La mise en scène de l'arrivée du premier tripode en est exemplaire. La scène est installée tout d'abord à partir d’un point de vue presque externe: malgré la présence du personnage de Cruise, ce n'est pas à lui que l'on parle. La caméra-témoin de Spielberg recueille les commentaires des individus présents. On approche d'une qualité documentaire. Ensuite, lorsque la destruction s’enclenche, Spielberg ne privilégie pas le spectacle, sans le négliger pour autant, et place sa caméra (à l’épaule) devant un tableau composé de plusieurs strates: un personnage au premier plan, un immeuble qui s'effondre au second, un tripode à l’arrière, etc. On n'a pas le droit au plan qui épate par son effet spécial (comme un rayon destructeur explosant la Maison Blanche…), l’action est située dans le "réel", on assiste presque à une vidéo amateur. Le parallèle est même rendu enfantin par une mise en abyme directe lorsqu’un passant filme l’action avec son caméscope. Spielberg exploite sciemment l’iconographie attachée aux événements du 11 septembre 2001.

Ça court dans tous les sens, ça crie, et quand la caméra capte la catastrophe, ce n'est pas dans un plan externe, illustratif, qui sert de véhicule à un magnifique effet spécial mais un plan à l'intérieur de l'action, à échelle humaine, à l'échelle des victimes et des survivants. Spielberg ne déroge pas à cette règle. Lorsqu’une énorme bataille entre l’armée et les tripodes s’engage, elle a lieu hors champ. Le seul moment où il nous est donné de voir des missiles partir en direction des adversaires, c’est lorsque le personnage de Cruise y jette un coup d’œil. Et c’est tout. Dès que Ferrier porte à nouveau son attention sur sa famille, la caméra effectue un travelling descendant et ne nous montre pas le money shot caractéristique du blockbuster estival. On ne voit rien de ce que les personnages ne voient pas et l’on n’en sait pas plus qu’eux. Des rumeurs, des murmures, et c’est tout. "Le film transforme des familles américaines en réfugiés, c’est une situation que l’Amérique n’a jamais connue (…) En réalité, j'ai été plus influencé par les exodes de la Seconde Guerre Mondiale que par des événements contemporains. En faisant mes recherches pour La Liste de Schindler, j'ai visionné des dizaines de documentaires, et ces files gigantesques de gens en fuite m'ont profondément marqué". Lorsque les êtres humains se font annihiler, ils sont réduits en un éclair à l'état de cendres et très vite, Ferrier est recouvert de cendres. Evidemment, on nage en plein 11 septembre. On pourra également y voir un renvoi à l'Holocauste. Certains dialogues émettent d’ailleurs le terme "extermination". La Guerre des mondes est un film de guerre, un film d’exode, un film de survie. Tout au long du film, le metteur en scène s'auto-référence. Il nous refait ses films d’extra-terrestres version "bad", il nous refait la scène de la Jeep de Jurassic Park, mais cette fois-ci elle est attaquée non par un T-Rex mais par des êtres humains (l'espace d'un instant, on est dans un film de zombies!), il nous refait la scène de la cuisine avec les raptors, mais toujours avec une petite variation. On pensera également aux soldats qui se réfugient dans l’eau avant d’y mourir dans Il faut sauver le soldat Ryan lorsqu’un ferry renverse tous ses passagers dans l’eau avant qu’il n’en soient cueillis par des tentacules…

THEY’RE ALREADY HERE

Spielberg joue également beaucoup avec les miroirs, renvoyant constamment les protagonistes à leur reflet: une image dans l’écran d’une télévision, dans le rétroviseur d’une voiture, dans un miroir ou dans l’œil même de son adversaire. Spielberg renvoie l’être humain à son agresseur comme une image miroir de deux mondes en guerre. Sans qu’aucune explication ne soit donnée, David Koepp affirme cependant: "Je pense que toute la guerre concerne l’eau. Leur planète serait à cours d’eau. Les guerres tendent à être menées autour de choses élémentaires: l’eau, la terre, l’essence (…) Nous sommes allés en Irak pour leur pétrole, eux viennent pour notre eau". La Guerre des mondes, métaphore de la guerre en Irak? Pour le scénariste, le film peut être vu comme une étude de la paranoïa post-11 septembre, tout comme il peut être considéré comme une critique de l’interventionnisme américain, condamné à l’échec, à l’instar de l’invasion des aliens. Le roman d’H.G. Wells, écrit en 1898, adoptait une narration à la première personne d’où transparaissait un style documentaire qui se prête parfaitement à l’approche de Spielberg, tout comme il avait permis à Orson Welles de faire croire à l’invasion extra-terrestre en 1938. Au-delà de ça, les diverses versions du matériau original ont toujours eu une portée politique. Selon Isaac Asimov, l’ouvrage littéraire était une critique du colonialisme. Wells était un anti-impérialiste. L’émission radio de 1938 reflétait l’imminence du fascisme en Europe et de la Seconde Guerre Mondiale. Le film de 1953, réalisé en pleine Guerre Froide, cachait la menace communiste derrière une menace venue d’ailleurs. "Et ce film, ma version, émerge de l’ombre du 11 septembre", indique Steven Spielberg.

"Ici, pour la première fois, je regarde l'espace et j'y vois non une lumière, mais une invasion. Je crois que, en raison des attentats du 11 septembre, je ne pourrai plus jamais regarder le ciel comme avant. La métaphore politique est inévitable". Au travers de ces propos entendus en interview, il va sans nul doute que La Guerre des mondes est l’un des films les plus engagés de son auteur, pourtant connu pour être toujours politiquement correct, allant jusqu’à ne pas trop s’avancer sur la religion de sa star et ami Tom Cruise, qui fait en ce moment l’objet d’une véritable folie "tabloïdaire". Les temps changent mais l’essence est la même. Les monologues d'ouverture et de clôture, critiques envers l’arrogance des terriens, directement tirés du livre, n'ont pas changé eux. Ils sont encore d’actualité. Spielberg les transpose tels quels à l’écran sans jamais craindre le ridicule. Premier degré tout du long, le film verse librement dans la science-fiction pure, notamment dans son imagerie extra-terrestre. Mais Spielberg garde les pieds sur Terre. Après avoir évoqué le système juridique dans Minority Report avant de filmer l’Amérique comme une cellule plutôt qu’une terre d’accueil dans Le Terminal, Spielberg n’a pas fini de s’en prendre à son pays. Subtilement mais sûrement. Par la même occasion, il se débarrasse de quelques défauts présents dans ses dernières œuvres, notamment au niveau du rythme et du sentimentalisme, malgré un retournement final illogique comparé à l’âpre réalité du film. Une réalité tantôt dure tantôt cauchemardesque mais toujours juste et sensée.

par Robert Hospyan

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