Grand Silence (Le)

Grand Silence (Le)
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Grand Silence (Le)
Die grosse Stille
Allemagne, 2006
De Philip Gröning
Scénario : Philip Gröning
Durée : 2h44
Sortie : 20/12/2006
Note FilmDeCulte : ****--

Le documentaire de Philip Gröning suit la vie quotidienne des moines du cloître de la Grande Chartreuse et la récurrence des différents éléments qui la rythme.

HORS DU TEMPS

16 ans. Philip Gröning a attendu seize ans avant d’obtenir une autorisation de tournage pour Le Grand Silence. Seize ans d’une correspondance assidue avec un prêtre de la Grande Chartreuse. Beaucoup d’autres cinéastes auraient abandonné le projet mais Philip Gröning a tenu bon et sa persévérance a été récompensée, et a donné naissance au seul film jamais tourné sur le domaine de la Grande Chartreuse. Ces longues années d’attente sont le reflet parfait de ce qui se passe derrière les hauts murs du cloître. En effet, le temps y est aboli, il n’a plus la même notion que celle que nous lui donnons. Le grand pari de Philip Gröning est ainsi, à travers la vie quotidienne des prêtres, de nous faire prendre conscience du temps. Pendant 164 minutes, il invite le spectateur à une plongée méditative dans une autre dimension, à se servir différemment de ses yeux et surtout de ses oreilles. "Car c’est quand les mots se font absents que l’on commence à voir et dans le silence que l’on commence à entendre."

Le film débute avec le feu qui crépite dans un poêle, le visage d’un prêtre de profil, plongé dans une prière, visage qui se fond avec le ciel. Le ciel, le feu, le silence. Long plan fixe sur ce moine qui prie, les cloches sonnent, vue sur la neige entourant le cloître. Plan sur un long courrier qui passe dans le ciel, silencieux lui aussi, son écho appartient à un autre monde. Et toujours les cloches qui rythment le début du film comme elles rythment la vie des moines. La vie au cloître est comme du papier à musique: trois heures de sommeil, deux-trois heures de prières, trois heures de sommeil, les nuits se suivent et se ressemblent. Pas de vacances, pas de temps libre, la messe du matin, sept temps de prières différents au cours de la journée, que chacun accomplit dans sa cellule, la messe du soir et il faut encore laver son linge, faire la vaisselle, travailler le jardin, couper du bois, lire des livres, faire son travail pour le cloître. Il ne reste pas de temps pour soi et ce sont les cloches, encore et toujours, qui telles un infatigable métronome, déterminent les différentes phases de la journée.

LE LONG SILENCE

Le réalisateur a passé quatre mois en compagnie des moines en 2002, puis trois semaines en hiver 2003, telle une ombre, il a suivi les journées de ces hommes qui ne vivent que pour leur communion avec Dieu. Les conditions de l’autorisation de tournage sont quasi dogmatiques, pas d’équipe, lui seul est autorisé à séjourner sur place, pas de lumière additionnelle, pas de musique, et pas de commentaire. Ainsi, si le film soulève beaucoup de questions, il ne donne aucune réponse. Il se veut le témoin de la vie de ces moines, pas un guide explicatif de la vie monacale. Au vu de l’absence de lumière supplémentaire certaines prises sont très sombres, notamment les prières de nuit où une vacillante flamme de bougie s’accroche au milieu du cadre, renforçant le côté déjà abrupt du film. Mais le plus atypique est l’absence de musique, de dialogue. Les plans se déroulent et les sons prennent un autre sens, comme le bruit des ciseaux qui lentement découpent la toile, dans l’atelier du moine couturier, et que l’on a l’impression d’entendre vraiment pour la première fois. Les moines doivent parler aussi peu que possible entre eux, ils disposent de boîtes aux lettres pour se faire passer des messages, par contre lors de leur sortie dominicale la parole est autorisée et les sujets de conversation tournent alors autour de la nécessité du lavage des mains ou encore la vie dans les autres cloîtres. Ainsi le film accorde des pauses aux spectateurs dans cette mer de silence et vers la fin du film, une étonnante interview, qui ressemble plus à une confession de foi, aide à comprendre la mentalité des prêtres et leur relation avec Dieu.

PRIERE ININTERROMPUE

Avec la répétition des différents textes qui apparaissent régulièrement dans le film, Philip Gröning a voulu montrer la régularité des prières auxquelles doivent se plier les moines toute leur vie, ainsi que la signification différente que prend une prière ou un psaume à force d’être lu et relu. Il donne également un visage aux moines. Ainsi les textes sont suivis de plans immobiles sur le visage des différents habitants du cloître, un album de famille qui s’étend du jeune au vieil homme. Il accorde aussi une grande place aux détails afin que le spectateur puisse s’approprier plus facilement ce monde si éloigné du sien, et un gros plan sur la robe rapiécée d’un moine explique ainsi le principe de soin, plus que celui d’économie, appliqué par la communauté. Rien ne se jette avant que cela ne soit strictement nécessaire et tout se récupère, gros plan sur la collection de boutons du frère couturier. Il prend également ses distances et filme le cloître de l’extérieur avec les nuages qui défilent en accéléré au dessus des Alpes, accentuant la notion du temps qui passe, sans cela dit affecter l’immuable vie des moines. Des hommes qui ne vivent que pour prier Dieu et qui retrouvent, le temps d’une scène dans la neige, leur âme d’enfant et une légèreté qui contraste fortement avec la concentration qui se lit sur leurs visages pendant la prière.

La caméra haute définition glisse, silencieuse, apparaissant au détour d’une scène comme en suspension. Ses plans sont combinés avec ceux filmés en Super 8 pour à la fois fixer la beauté des lieux et le temps. Le film célèbre la communion de ces hommes avec leur environnement - l’eau qui alimente le cloître provient d’un torrent qui coule à côté - et la solitude de l’individu au milieu de la communauté, renforcée par l’absence de parole et le temps passé dans les cellules. Le spectateur, lui, ose à peine respirer, de peur de briser le silence. La salle ne sera pas aussi remplie lorsque les lumières se rallumeront qu’en début de séance et ceux qui seront restés remercieront Philip Gröning de cette épreuve du feu, le film demandant une attention constante, sachant qu’ils viennent de partager un moment unique. Peu importe la conviction religieuse de chacun, il s’agit ici de se laisser surprendre et emmener afin de percevoir le sens des choses. Le novice qui a franchi les portes du cloître depuis quelques semaines comprendra bientôt que la montre qu’il porte encore lui est désormais inutile. Le temps est resté de l’autre côté. Le nôtre.

par Carine Filloux

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