Goodnight Mommy

Goodnight Mommy
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Goodnight Mommy
ich Seh Ich Seh
Autriche, 2014
De Severin Fiala, Veronika Franz
Scénario : Severin Fiala, Veronika Franz
Photo : Martin Gschlacht
Durée : 1h39
Sortie : 13/05/2015
Note FilmDeCulte : *****-
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Durant un été caniculaire, dans une maison de campagne, perdue au milieu des champs de maïs et des bois, des jumeaux de neuf ans attendent le retour de leur mère. Lorsqu'elle revient à la maison, sa figure est cachée par des bandages. Ses enfants doutent de son identité...

MAMAN, QUEL EST DONC CE TOURMENT

Lorsque nous avions rencontré Ulrich Seidl à l’occasion de sa trilogie Paradis, celui-ci nous avait expliqué : « ce qui me plait, c’est de débusquer la frontière entre le rire et le moment où le deuil commence ». Seidl, habitué à une certaine horreur sociale, a produit ce Goodnight Mommy, vrai film d’horreur psychologique réalisé par Severin Fiala et Veronika Franz (elle-même coscénariste de tous les derniers Seidl). Goodnight Mommy ne joue pas sur la même dynamique de changements de registres que Seidl, ce chaud-froid entre le rire jaunissime et le pathétique le plus infernal, mais sa richesse acrobatique de tons rappelle celle du cinéaste, de la douceur premier degré au malaise grinçant.

Goodnight Mommy débute par des images d’une mignonnerie digne d’une boite à chocolats de Noël : une famille bavaroise parfaite chantant une ritournelle de boite à musique. L’image familiale est évidemment trop lisse, et déjà salie par les griffures sur la pellicule. Le film débute : un véritable conte de fées sur les traces de deux jumeaux jouant dans une forêt de frères Grimm onirique, paisible et pourtant inquiétante – on a vite fait de tomber sur un cimetière abandonné où les ossements s’amoncellent. Franz et Fiala font preuve d’un sens de l’étrange et du merveilleux, doublé d’un grand sens de la mise en scène, qui éclaboussent l’écran en quelques plans. Au film de dédoublement psychologique (très rapidement, lorsqu’une silhouette se détache d’une autre, le faux-twist est désamorcé) succède un autre film : la mère des garçonnets revient à la maison. Celle-ci ressemble à un monstre – ou revient-elle seulement d’une opération de chirurgie esthétique ? Question de point de vue, comme dans toute horreur psychologique. Racontée du point de vue des enfants, pas de doute : l’imaginaire, même le plus effrayant, prime. Cette histoire de deuil, de maternité contrariée, de lutte de pouvoir dans une famille, pourrait être le sujet rantanplan d’un drame lambda. L’horreur donne une toute autre dimension à l’histoire de Goodnight Mommy, à la hauteur métaphorique de l’horreur suscitée par la perte, la dépression ou la folie.

Goodnight Mommy ne devient plus explicite que le temps de deux répliques dans le film. Franz et Fiala misent sinon sur l’ellipse, la suggestion… jusqu’au basculement. Car l’ellipse n’est pas qu’un moyen élégant de raconter cette histoire de refoulement, où l’on croit effacer les souvenirs comme on enlève les cadres d’un mur ou les photos d’un album. Ce que les personnages ne disent ou n’admettent pas, c’est ce qu’ils ne peuvent tout simplement pas dire ou admettre. Je vois, je vois, insiste pourtant le titre original du long métrage (Ich seh, Ich Seh). La direction artistique apporte autant de soin à son décor naturel de conte séculaire qu’à la maison d’un drame quotidien : luxueuse, sortie d’une émission de déco, elle est pourtant une tombe qui grouille littéralement de cafards. Parfois, l’ironie amère s’invite comme une respiration lorsqu’on voit que personne ne peut aider cette famille qui doit régler ses drames elle-même. Elle est une pause avant le crescendo d’une descente aux enfers, où l’imagerie de conte (et on sait à quel point les contes pour enfants peuvent être cruels) enrobe un drame familial qui se déroule dans la maison au bout du chemin. Le pathétique y est transcendé par un sens de la poésie et du mystère totalement envoûtant. Une vraie révélation.

par Nicolas Bardot

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