Godfathers and Sons
États-Unis, 2003
De Marc Levin
Avec : Jamar Chess, Marshall Chess, Chuck D, Koko Taylor
Durée : 1h36
Sortie : 30/06/2004
Depuis les lamentations d’hier jusqu’aux refrains incendiaires scandés par les rappeurs d’aujourd’hui, la musique noire voit son identité évoluer au prix d’une unité toujours plus présente.
IT TAKES A NATION OF MILLIONS TO HOLD US BACK
Cette sixième incursion documentaire dans le blues s’offre un regard planté dans les racines d’un arbre massif et dirigé vers son feuillage futuriste. Concrètement, Godfathers and Sons pose la question du legs, de l’héritage toujours vivace d’un blues plus que centenaire. Plutôt que d’explorer un passé riche, foisonnant d’artistes maudits, oubliés, dont la mémoire ne survit que par les grâces de quelques amateurs fervents, obstinés et curieux, le film jette ses amarres dans un port de jeunesse. Ce qui intéresse Marc Levin - déjà très versé dans la culture hip-hop avec les étonnants Slam et Whiteboys - ce sont les causes et les conséquences de la découverte par ces jeunes rappeurs de la musique de leurs ancêtres. Là où l’art de la guitare virtuose avait influencé les jeunes rockers londoniens et blancs, c’est l’âme et la rage du peuple noir qui va marquer la génération rap urbaine. Le lien évident entre rock et blues fait place à la lignée sanguine et atavique d’un hip-hop-fils-caché plus friand de mots brûlants et de collages revisités que d’improvisations virtuoses partagées entre claviers et pianos rugueux. Les chemins tortueux pourtant remontent tous à la source: le blues. Surtout lorsque même les plus jeunes, connaissant leur Eminem sur le bout des doigts, ignorent tout de l’influence d’un Chuck D.
FEAR OF A BLACK PLANET
En suivant l’héritier - Marshall Chess - d’un label de blues du Chicago d’après guerre, parti en goguette avec Chuck D, Godfathers and Sons devient le tracé d’une route qui conduira au croisement inattendu entre un blues ressuscité d’entre les morts et un rap revendicatif. Confrontant leurs voyages personnels - le premier a produit le fameux Electric Mud en 1968, sorte de renaissance blues-rock-psyché de Muddy Waters, alors que le second a dirigé bien plus tard la machine de combat Public Enemy - ils se retrouvent sur les traces d’un nouvel album à produire et de nouvelles énergies à créer. Mêlant les musiciens vieillis mais toujours adroits de Muddy avec quelques unes des plus fines fleurs de la scène rap américaine (dont le collectif The Roots), l’expérimentation produira un effet explosif et sidérant. Au cœur de l’Electric Lady - le studio New-yorkais de l’immense Jimmy Hendrix - transformé pour l’occasion en laboratoire de Frankenstein bouillonnant, naît une étrange alliance à la saveur revigorante. C’est dans ce métissage inédit, étonnant et pertinent que Marc Levin fait évoluer son fil narratif. Il produit probablement le meilleur film de la série et prouve par la même occasion l’intemporalité du blues et sa compromission dans les formes les plus affûtées de la musique populaire contemporaine.