Le Garçon et le Monde
O Menino e o Mundo
Brésil, 2014
De Alê Abreu
Durée : 1h19
Sortie : 08/10/2014
À la recherche de son père, un garçon quitte son village et découvre un monde fantastique dominé par des animaux-machines et des êtres étranges. Un voyage lyrique et onirique illustrant avec brio les problèmes du monde moderne.
NATURE ET DÉCOUVERTE
Il aura fallu à Alê Abreu près de sept ans pour compléter son second long-métrage Le Garçon et le monde. Une démesure qui peut surprendre face à un film d’animation à l’ancienne, sans 3D ou CGI, et qui pourtant reflète à elle seule l’ambition et le propos du film. Tout commence pourtant par la plus stricte sobriété : un écran entièrement blanc, néant vierge propice à accueillir toutes les idées naissantes et tous les déploiements. Face au jeune protagoniste sans bouche mais aux yeux grands ouverts, l’univers et le récit se déroulent comme une boule de neige : un brin d’herbe devient une fleur, un arbre, puis toute une forêt. C’est un univers gigantesque qui éclot d’abord délicatement pour mieux éclater dans un extraordinaire tourbillon de couleurs, où chaque plan devient un superbe arc-en-ciel scintillant. C’est peut-être tout simplement le film d’animation le plus beau vu depuis longtemps, et sa simplicité n’égale que sa capacité à fasciner et bouleverser.
Mais la découverte de ce monde-là n’est pas une promenade béate dans un jardin enchanté. D’animaux merveilleux en étranges machines, ce décor se fait de plus en plus étrange, le dépaysement tellement grand qu’il devient inquiétant. Le grain toujours visible du crayon gras apporte d’ailleurs énormément : non seulement ce côté dessin d’enfant traduit le point de vue du film (celui d’un univers déroutant vu par des yeux enfantins et innocents), mais derrière, on devine toujours la page blanche originelle. Ce monde que visite le héros à la recherche de son père, est-il bien réel ou n’existe-t-il que dans son imagination ? Le réel prend d’ailleurs un poids de plus en plus grand au fil du film. Les techniques d’animation s’étoffent, laissent apparaitre des textures ou des caractères directement issus de notre culture populaire contemporaine, et le monde du jeune garçon prend les apparences du nôtre. La forêt des origines se fait grignoter par une ville tentaculaire, et en suivant le trajet d’une boule de coton ramassée à même la plante, le protagoniste devient le témoin des injustices et violences de la lutte des classes.
La force incroyable du Garçon et le monde est d’arriver à combiner dans sa parabole un regard intransigeant sur des questions sociales et politiques on ne peut plus concrètes et à rester toujours accessible au plus jeune public. A l’inverse des plus mauvais films d’actions contemporains, le film n’a pas peur de prendre son temps (pas de course poursuite hystérique, d’ironie cool ou de blagues de rot), et n’a pas peur du silence. Si l’ensemble est d’ailleurs dépourvu de dialogues et de voix off, il est particulièrement riche en musiques et en chansons folk et folkloriques qui apportent au film une mélancolie et une profondeur émouvantes. Le premier long-métrage d’Alê Abreu s’appelait Le Garçon cosmique. Cela aurait pu être également le titre de ce nouveau film, tant ce voyage fait chavirer les cœurs par son intensité et sa poésie rare. Un voyage dont chaque seconde est splendide.