Le Fossé

Le Fossé
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Fossé (Le)
Jiabiangou
Chine, République populaire de, 2010
De Wang Bing
Scénario : Wang Bing
Durée : 1h52
Sortie : 14/03/2012
Note FilmDeCulte : *****-
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A la fin des années 50, le gouvernement chinois a condamné aux travaux forcés des dizaines de milliers de citoyens, considérés comme des dissidents de droite, en raisons de leurs activités, de leurs critiques du communisme ou simplement de leur famille ou de leur passé. Quelque 3000 intellectuels pauvres ou de la classe moyenne de la province de Gansu ont été soumis à des conditions de misère absolue, déportés dans le camp de Jiabiangou, à l'Ouest de la Chine, à des milliers de kilomètres de leurs proches. En raison du travail très physique, des conditions climatiques difficiles, et de la famine, nombre d'entre eux sont morts, pendant la nuit, dans les fossés où ils dormaient. Ce film raconte leur destin, quand la condition humaine atteint ses extrêmes limites.

TANDIS QUE J'AGONISE

Révélé par son documentaire titanesque de 9 heures, A l'ouest des rails, le Chinois Wang Bing signe sa première fiction avec Le Fossé, présenté en compétition à Venise. Après le cauchemar d'un complexe industriel à l'agonie, le cinéaste filme un tout autre enfer: celui du désert de Gobi dans lequel sont envoyés des "droitiers", médecins, ingénieurs, pas dans les petits papiers du Parti communiste. Ceux-ci sont en rééducation, un joli euphémisme pour ne pas parler du supplice qui leur est réservé. La question de la survie se posait déjà dans le documentaire crépusculaire de Wang Bing. Quelle survie ici, alors que la litanie des morts ne semble pas avoir de fin? Quelle survie sans dignité, quand le dortoir est un terrier, qu'on rampe hors d'un trou comme une bête, que des cadavres sont parfois dévorés? La survie n'est plus que mimée, les gardiens de camp tentent de remettre sur pied un prisonnier exsangue, lui posent sa charge sur le dos, le tiennent comme une marionnette. Puis la nuit vient, les hommes s'endorment et au matin on chiffre les cadavres. "Les vivants comptent plus que les morts", entend-on, malgré tout, dans ce marasme infernal.

Alors qu'A l'ouest des rails empruntait à la fiction, Le Fossé emprunte au documentaire, la fiction parfois s'oublie, puis les deux se brouillent: tout, dans Le Fossé, vient de témoignages ou lettres de prisonniers ayant vécu ce que l'on voit à l'écran. Le temps s'écoule, les scènes se répètent, "une montre, ici, ça ne sert à rien". Le film n'est pas, pourtant, qu'un sujet fort. Un plan, au début du film, où des gardiens préparent un ragoût de boue, rappelle la puissance picturale des fascinants tableaux DV de A l'ouest...: un grand chaudron duquel s'échappe une épaisse fumée, les murs en terre, et la lumière qui transperce la pièce par la fenêtre. Des rayons de lumière qui viennent régulièrement déchirer les parois de terre du tombeau dans lequel sont enfermés les prisonniers. Qui éclairent le visage d'une femme à la recherche de son mari avant que, plan fascinant, Wang Bing ne la réduise à une silhouette dans l'ombre, plus un visage mais juste un corps et le poids du chagrin.

C'est là que Le Fossé trouve, formellement, ses moments les plus stupéfiants, suivant les pas d'une veuve qui claudique à la recherche d'un cadavre, déambulation hallucinée parmi des centaines de tombes dans le désert. Une séquence qui ferait presque regretter que tout le film ne soit pas de ce niveau, frôlant parfois l'enfermement doloriste là où cette vision d'un désert sans fin, bientôt plongé dans la nuit noire, a quelque chose de vertigineux. Tourné dans la clandestinité, le long métrage, censé se dérouler à la fin des années 50, efface les traces du temps - certainement pas un hasard. Austère mais puissant, Le Fossé confirme le talent de son réalisateur.

par Nicolas Bardot

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