Fogo
La détérioration d'une petite communauté de l'île de Fogo contraint ses habitants à partir. Des lieux autrefois occupés par des humains prennent maintenant part à un véritable paysage de toundra. En dépit de leur avenir, certains résidents décident de rester, s'accrochant à leurs souvenirs et pleurant leur passé, lorsque la vie à Fogo était bien différente.
L'ILE MYSTERIEUSE
La présentation de Fogo a commencé ce matin par quelques mots d’excuse du sélectionneur de la Quinzaine Edouard Waintrop : le film de Yulene Olaizola avait par erreur était classé comme documentaire dans le programme officiel. Erreur révélatrice ? La réalisatrice est elle-même intervenue pour répondre que finalement, ce n’était pas vraiment faux « mon film est une fiction, mais il n’est pas que ça ». Le projet est né d’une bourse obtenue par la réalisatrice lui permettant d’aller tourner un film « de commande » sur l’île de Fogo, caillou perdu au nord-ouest du Canada. A l’origine : un lieu, des personnes. Puis comme elle l’a expliqué : « la fiction a pris le dessus, et les personnes sont devenues des personnages ». Fogo se situe en effet dans un étrange et stimulant entre-deux, quelque part entre contemplation et mystère.
A l’origine du projet et au commencement-même du film se trouve donc un lieu : extraordinaire rocher pelé où vivent quelques rares hommes, écrasés par des conditions climatiques extrêmes et une nature peu accueillante. Olaizola possède un vrai talent pour filmer ces paysages venus d’ailleurs, pour y perdre ses personnages via un art enviable du cadrage. Sous sa caméra, la nature se rapprocherait presque du surnaturel : on marche sur l’eau, la terre est molle et spongieuse… Un lieu inédit, impropre à la civilisation. Mais Fogo n’est pas que paysages, et malgré sa très courte durée (une petite heure tout rond), il prend son temps, demande un attention certaine. C’est un euphémisme. C’est lent et contemplatif. Très contemplatif. Disons le net : pendant un bon moment, la réalisatrice ne semble filmer rien d’autre que des pêcheurs qui s’emmerdent et se regardent en chiens de faïence dans le plus grand silence, dans leurs cabanes où perce à peine un rayon de soleil. Des scènes dignes d’une improbable parodie du Cheval de Turin. Le film semble condamné à tourner en rond, on craint la pose, que l’ennui abyssal s’installe pour de bon. On a tort.
Les personnages d’Olaizola sont bel et bien des habitants de l’île, mais plus pour longtemps. Leur départ définitif semble inévitable, face à l’arrivée d’on ne sait quel mystérieux cataclysme (l’île coule ? le gouvernement les chassent ? Les Enfoirés passent en concert chez eux ?). Les dialogues étant quasi absents, le mystère reste entier mais relégué à l’arrière-plan pendant la majeure partie du film. Le propos de Fogo est difficile à cerner pendant assez longtemps, ce qui le rend peut-être un peu trop hermétique. Filmer des personnages qui attendent en silence quelque chose que l’on ne connait pas, ce n’est certes pas la meilleure garantie d’une grande cocasserie. Mais deux scènes viennent détonner et balayer ces réserves. Dans l’une, un bucheron coupe un arbre. Peu à peu la séquence se transforme en duel homme/nature et l’on retrouve alors ce qui faisait la singularité de Paraisos artificiales : cette espèce de perméabilité entre l’homme et la nature. Le face à face se termine même par un génial « fuck you » du bucheron adressé à l’arbre, ou peut-être à cette île entière si inhospitalière. L’autre tour de force de Fogo réside dans son dénouement, tout simplement hallucinant. En deux plans seulement, le mystère s’épaissit, devient gigantesque, éclatant. Le film bascule presque dans le mystique, et le vrai Cheval de Turin n’est alors plus loin. La plus belle fin de film vue pour l’instant à Cannes cette année, qui vient prouver que tout vient à point à qui sait attendre.