Fires on the Plain
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'armée impériale japonaise aux Philippines est en déroute face à la résistance locale et aux troupes américaines. Les quelques soldats restants errent, luttant pour leur survie, dans un univers sans ami, sans ennemi, sans Dieu...
DE GUERRE LASSE
Au tournant de l'an 2000, à l'époque où "la mode" était au cinéma asiatique (entre le succès commercial de Wong Kar Wai, la reconnaissance tardive de Miyazaki ou le début du renouveau coréen), Shinya Tsukamoto (lire notre entretien) était un auteur culte et "suivi". Plusieurs de ses films avaient été édités en dvd chez nous tandis que certains (comme Gemini ou Tokyo Fist) sont sortis dans les salles françaises. Hormis quelques timides apparitions dans des festivals hexagonaux (comme à l’Étrange qui avait diffusé Snake of June il y a une dizaine d'années), silence radio ou presque. Pourtant, Tsukamoto n'a pas cessé de tourner (6 films entre 2004 et 2014) et son dernier né, Fires on the Plain, figurait même l'an passé en compétition à la Mostra de Venise.
Fires on the Plain est une nouvelle adaptation du roman semi-autobiographique Les Feux de Shōhei Ōoka, relatant l'enfer dans lequel s'enfonce un soldat japonais au cœur de la jungle philippine. Ce classique humaniste et antimilitariste de la littérature japonaise avait déjà inspiré Kon Ichikawa avec Les Feux dans la plaine, tourné à la fin des années 50 soit quelques années seulement après la parution du roman. Un demi-siècle s'est écoulé mais les sujets traités par l'ouvrage, et sa relecture par Tsukamoto, restent d'actualité. Dès les premiers instants, le réalisateur questionne l'absurdité de cet état de guerre, alors qu'il ne décrit même pas une scène de combat. L'humanité et l'empathie semblent déjà totalement absentes dans cette intro curieuse et gonflée.
Le roman de Shōhei Ōoka était concis, assez factuel. C'était une manière d'exprimer au plus près l'expérience viscérale et traumatisante, et cela constituait de la même façon un enjeu de l'adaptation cinématographique. Tsukamoto réussit avec talent à retranscrire ce sentiment d'urgence avec un enchainement rapide des actions (aussi vif que peut l'être une surprenante - et glaçante - rafale de tirs) et un usage peu orthodoxe, abrupt et répété, de raccords dans l'axe. Il décide de ne pas déplier de voile pudique sur l'horreur du champ de bataille, digne d'un film gore - sauf qu'il n'est nullement question de fantaisie potache ici. Ses soldats sont des morts-vivants qui savent déjà comment ils vont terminer, alors que leur ennemi reste invisible. Tsukamoto se glisse dans leur tête, le temps de longues plages muettes.
Mais Fires on the Plain n'est pas qu'un récit réaliste de la guerre. Le cinéaste filme l'errance métaphysique du soldat comme un voyage halluciné, où les visions de paradis dans une nature extraordinaire sont aussi grandioses que la démesure de l'horreur. C'est aux yeux de Tsukamoto un rappel nécessaire, à une époque anesthésiée, habituée à la paix et où la tentation militariste est plus forte. Le dénouement, en apparence un peu plus optimiste par rapport au film d'Ichikawa, est amer : cet homme-là a ramené la guerre chez lui.