Fils (Le)

Fils (Le)
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Fils (Le)
Belgique, 2002
De Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne
Scénario : Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne
Avec : Olivier Gourmet, Kevin Leroy, Morgan Marinne, Rémy Renaud, Isabella Soupart
Durée : 1h43
Sortie : 23/10/2002
Note FilmDeCulte : ******

Bien que le nouveau film des frères Dardenne ne soit pas véritablement basé sur un suspense au sens où on l'entend généralement, il comporte cependant une intrigue dont la lecture du texte qui suit peut révéler certains tenants

Menuisier dans un atelier, Olivier accepte de prendre un nouvel apprenti. Qui est ce Francis, jeune garçon de quatorze ans, qui le fascine et l’effraie tant, et qu’il se met à suivre le soir après le travail, jusqu’à la porte de son immeuble?

Pourquoi fais tu cela? C’est la question qui parcourt l’intégralité des trois derniers films de Luc et Jean-Pierre Dardenne. Quelles sont les motivations de Rosetta? De Igor, personnage de La Promesse? Qu’est ce qui pousse Olivier à accueillir ce garçon qui débarque un jour dans sa vie, à le suivre dans les rues à la sortie du boulot? Qu’est ce qui le fascine tant dans le personnage secret et finalement si ordinaire du jeune Francis, homme-enfant au passé trop lourd, trop accablant? Le dernier film des frères Dardenne a le mérite de poser des questions et de ne surtout pas y apporter de réponses trop évidentes et donc trop vulgaires. L’on se saura donc jamais quelles sont les véritables motivations d’Olivier ni ce qu’il cherche réellement dans sa relation intime avec le garçon. Et pourtant, la présence de certaines pistes font du Fils l’un des films les plus forts de l’année. Pour réellement comprendre le nouveau film des réalisateurs de Rosetta, il faut chercher ce qu’il y a avant, et après. Avant cette rencontre entre deux êtres similaires, après la confrontation de ces deux caractères.

Avant Le Fils, il y a le père. Et ce père, c’est Olivier, menuisier dans un centre de réinsertion pour jeunes délinquants, divorcé, baignant dans sa solitude depuis la mort de son fils. Le film est avant tout l’histoire d’un isolement, celui d’un homme orphelin de son fils, qui a choisi de s’entourer du bruit de l’usine pour masquer le terrible vide qui a accompagné la mort de l’enfant. Cet isolement, les frères Dardenne le filment à bras le corps, par le biais d’une mini caméra permettant de suivre le personnage dans un parcours mental représenté par les couloirs de l’entreprise. Par cette manière nouvelle de filmer, les deux cinéastes réussissent à glisser autour de lui, à pénétrer son inconscient, à signifier sa douleur sans le moindre effort. Simplement au détour de plans dans lesquels ils se contentent de suivre un personnage démiurge qui dicte sa conduite au film. Il faut avant tout saluer l’interprétation d’Olivier Gourmet, présent avant même la construction du projet, impérial dans le rôle de cet homme brisé par un destin brutal, enfermé dans ses habitudes de menuisier, d’homme seul. Portant littéralement le film, il donne pleinement corps à l’odyssée mentale de son personnage, odyssée que l’on pourrait s’empresser de qualifier de christique, mais que les frères Dardenne préfèrent désigner comme simplement humaine, trop humaine. Celle d’un homme n’ayant plus rien à perdre, et cherchant peut être pour la dernière fois à donner un sens à sa vie, en se faisant arme du même destin que celui qui lui a pris son fils. Idée splendide qui consiste à confronter Olivier à ce qu’il devrait haïr le plus.

Le Fils, c’est également ce jeune garçon prénommé Francis. Eternellement endormi, celui-ci est un être à part, marqué par un passé trop gros pour lui, trop dur, durant lequel il aura connu les maisons de correction suite à une erreur, un accident qu’il ne cherche pas à nier ou à oublier. Francis a tué, quelques années plus tôt. Il a pris la vie d’un autre enfant, et depuis ce jour, il n’attend plus rien de la sienne. Seul depuis le drame, il sait simplement qu’il a "payé sa dette". Francis constitue le cœur du film, le pivot autour duquel la vie d’Olivier doit graviter et prendre une direction définitive pour la suite, quelque soit le choix décidé. Ce personnage, magnifique et probablement le plus bouleversant de la filmographie des frères Dardenne, est une énigme. Il tourne autour d’Olivier, tel un fauve impassible. Lors d’une très belle scène, il demande à Olivier d’évaluer à l’œil nu des distances au sol. L’espace d’un instant, il se met à découvert en montrant un réel intérêt pour les aptitudes du menuisier. Et brusquement, tristement, il recule sur un simple «Vous êtes fort», estimant probablement qu’il n’a pas le droit d’aller plus loin, pas le droit d’avoir une vie sociale normale après ce qu’il a fait. Et peut être pas non plus le droit d’avoir auprès de lui cette figure du père qui lui manque tant et qu’il aimerait reconnaître en Olivier. Peut être également qu’il ressent intimement la distance qu’Olivier cherche à mettre en eux, malgré l’aide que celui-ci lui apporte dans son apprentissage, et qu’il comprend ainsi le travail qu’il lui reste à faire pour se rapprocher de lui. Le Fils, c’est ainsi l’histoire de ce travail, de cet espace à combler, afin de réunir deux êtres que le destin à cruellement croisé.

Après Le Fils, il y a le pardon. Ou bien une forme de pardon, d’oubli du drame vécu, de cicatrisation. Un moyen de reprendre la vie là où on l’a laissée, en tentant de comprendre ce qui a pu se passer, en constatant les dégâts infligés à "l’autre" suite au meurtre. Olivier peut-il pardonner à Francis? En a t-il le droit? Probablement pas, et la question ne se pose pas vraiment. Comme l’expliquent les frères Dardenne (lire l'entretien), pour que Olivier pardonne à Francis, il faudrait également que celui-ci demande ce pardon. Ce n’est pas le cas. Alors, que reste t-il? Des gestes à reproduire, des mots à écouter, un travail à étudier, quelques détails de la vie quotidienne qui permettront à deux êtres de coexister en paix. Le film a ainsi cet immense mérite de poser la question intemporelle de l’absolution. Olivier, en allant au bout du voyage en compagnie du jeune garçon, a retrouvé quelque chose, la possibilité non pas d’aimer un autre enfant que le sien, mais de lui apporter l’aide que celui-ci réclame silencieusement. Il ne sait pas vraiment encore ce qu’il va faire de l’enfant. Mais il lui viendra bien une idée.

par Anthony Sitruk

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Olivier Gourmet a reçu pour ce film le prix d'interprétation au Festival de Cannes 2002.

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