La Fille de nulle part
France, 2012
De Jean-Claude Brisseau
Scénario : Jean-Claude Brisseau
Avec : Virginie Legeay
Photo : David Chambille
Durée : 1h31
Sortie : 06/02/2013
Un professeur de mathématiques retraité recueille une jeune SDF. Dès lors, des phénomènes mystérieux se produisent...
SLEEPING WITH GHOSTS
« Faire un film avec rien », voilà l’intention première de Jean-Claude Brisseau avec ce dernier long-métrage. Et dès les premières scènes, cela saute effectivement aux yeux : tourné en DV dans son propre appartement, avec une équipe extrêmement réduite, Brisseau et sa collaboratrice artistique s’accordant les deux rôles principaux. Et pourtant l’ambition narrative du réalisateur est inversement proportionnelle à ce coté home-made. Car La Fille de nulle part vise haut: mysticisme, croyances, fantômes et réincarnation. Oui, sous les aspects familiers d’une relation ambigüe entre un homme âgé et une toute jeune fille (même s’il n’y a pas trop d’érotisme cette fois), La Fille de nulle part est aussi, surtout, un film fantastique. Une révolution ? Pas tant que ça, car ce que l’on retrouve accentué dans cette histoire de fantômes de poche, c’est le mystère qui planait déjà dans les précédents films du réalisateurs (Choses secrètes ou plus encore A l’aventure).
Ce qui rend La Fille de nulle part aussi singulier, aussi étrange, c’est cette curieuse alliance entre un fantastique qui ne se cache pas et l’illusion d’ultra-réalisme permanent (renforcé par la DV). C’est justement le coté terre-à terre et presque trivial de certaines scènes (les sorties au distributeur, pas forcément indispensables à première vue) qui vient paradoxalement mettre en valeur l’émergence brutale du merveilleux en le rendant lui aussi particulièrement tangible. Traités de la même manière que les autres éléments du récit, les mystérieux cris entendus dans le couloir et les visions érotico-mystique deviennent aussi réelles que les meubles ou les affiches de films qui tapissent l’appartement. Bien vu. Et ces scènes fantastiques contaminent en retour les scènes les plus quotidiennes : qu’un mégot se retrouve déplacé par le vent et c’est presque un gouffre d’interprétation métaphysique qui s’ouvre.
Mais cette stimulante combinaison est à double tranchant, et il est parfois difficile de faire abstraction du coté relativement amateur de l’ensemble. A quel point le film fait-il vraiment exprès d’avoir l’air cheap ? Et au final, ce mélange de discussions théologiques ultra-sérieuses et de jeu d’acteur un peu bancal rappelle moins un éventuel chic Rohmérien (autre cinéaste du pouvoir de la parole) que le System D d’un Jean Rollin. Ce n’est pas une moquerie, car si on a trop réduit la filmographie de Brisseau à des histoires de fesses, il faut rappeler qu’il possède lui aussi une qualité trop rare dans le cinéma français contemporain : il n’a pas peur du ridicule.
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La Fille de nulle part a remporté le Léopard d'or au Festival de Locarno.