Le Feu
Brand (Der)
Allemagne, 2011
De Brigitte Bertele
Scénario : Johanna Stuttmann
Avec : Wotan Wilke Möhring, Maja Schöne
Photo : Hans Fromm
Musique : Christian Biegai
Durée : 1h34
Après une soirée passée dans un dancing, Judith est violée par un homme dont elle vient de faire la connaissance. Il la laisse inconsciente. Parvenue chez elle le lendemain, elle tente malgré tout de ne rien changer à sa vie - en particulier avec son compagnon Georg - et de rester la femme forte qu’elle a toujours été. Pourtant, rien n’est plus comme avant. Pire encore, la procédure engagée contre le violeur est soudain entravée. De plus en plus isolée, en proie au sentiment d’être incomprise par son avocat, Judith tente par tous les moyens d’obtenir justice. Elle se retrouve sur le point de tomber dans l’illégalité. Le Feu pose directement une question : existe-t-il un moyen de se remettre d’un viol ? De manière dérangeante et tendue, il observe aussi combien une victime peut inspirer la défiance, une fois son cas dans les mains de la justice.
A L'ÉPREUVE DU FEU
En matière de cinéma, on cite parfois des pays en vogue comme on listerait des sacs à main à la mode. 2012 serait québécoise ou ne serait pas, selon les derniers oracles. La nouvelle vague allemande, elle, dure et n'est certainement pas un simple accessoire fashion ou un machin cosmétique. Cette vague ressemble certes à une vaguelette en ce qui concerne son impact public. Les récents succès allemands en salles concernent des longs métrages comme Goodbye Lenin! ou La Vie des autres, voire même les films de Fatih Akin, qui n'ont pas grand chose à voir avec les choix esthétiques et les thèmes de ce passionnant courant contemporain. Les Ulrich Köhler (Montag), Maren Ade (Everyone Else), Benjamin Heisenberg (Le Braqueur), Christoph Hochhäusler (Sous toi, la ville), Jan Bonny (L'Un contre l'autre), Hans-Christian Schmid (Requiem), entre autres, ont parfois un peu rapidement été mis dans le grand sac dit de L'école de Berlin, s'y rattachent ou s'en éloignent, mais leurs cinémas semblent cousins, faits d'une fausse austérité pour des récits à vifs, sur la perte de repères, la reconstruction de soi ou du couple, empruntant volontiers au genre (fantastique, thriller) pour mieux brouiller les pistes. Premier film de fiction réalisé par Brigitte Bertele après qu'elle se soit fait la main sur des documentaires ou téléfilms, Le Feu est une nouvelle preuve de la vivacité de cette production, et de sa grande qualité.
Le Feu a (en apparence seulement) tout de l'édifiant film à thèse, tout du magnifique-portrait-de-femme (en un mot). Le Feu détourne surtout toutes les attentes, comme ses flammes iraient librement lécher les recoins les plus inattendus. Grâce à un découpage précis et une écriture au laser, le film atteint parfois des sommets de tension, un pouls de thriller alors qu'il ne sera aucunement question d'armes ou de poursuite - parfois, une simple confrontation dans un salon cosy, blanc et trop propre, on s'attendrait alors presque à voir surgir les voisins de Funny Games. Brigitte Bertele refuse l'hystérie et sa complaisance tout en parvenant à peindre la terrible violence de l'expérience traversée par son héroïne. La violence du viol, hors champ, mais surtout la violence psychologique, plein cadre, de l'après. Cette densité ne quitte jamais le long métrage, porté par l'interprétation intense de tout son cast, Maja Schöne en tête. Le feu qui brûle dans le ventre de Judith est aussi celui qui consume le film, dans un étrange équilibre, au bord parfois des extravagances du rape & revenge façon L'Ange de la vengeance de Ferrara, tout en restant dans le réalisme le plus anti-spectaculaire. Loin de toute formule, toujours sur le qui-vive. Voilà un premier film passionnant, d'une intelligence et d'une justesse impressionnantes.
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Le Feu est diffusé dans le cadre du Festival du cinéma allemand de Paris.