La Femme qui est partie
Ang Babaeng Humayo
Philippines, 2016
De Lav Diaz
Scénario : Lav Diaz
Durée : 3h46
Sortie : 01/02/2017
Horacia sort de prison, trente ans après avoir été injustement incarcérée. Elle a deux raisons de vivre: se venger de l'homme qui l'a fait condamner et retrouver son fils.
SACRIFICES
« Qui pour conjuguer cette phrase au futur? », demande l'héroïne à ses co-détenues en prison. Les filles hésitent, beaucoup plus que lorsqu'on leur demande de conjuguer au passé. Pour Lav Diaz, ses personnages (comme les êtres humains en général) sont « prisonniers des hasards de la vie ». Et c'est effectivement par un deus ex machina que s'ouvre La Femme qui est partie, nouveau long métrage du maître philippin, lauréat du Lion d'or à la dernière Mostra de Venise. Horacia a passé 30 ans incarcérée pour un crime qu'elle n'a pas commis. Elle est libérée (la véritable coupable s'est dénoncée), veut retrouver ses enfants... et se venger. Un thriller vengeur pour le réalisateur de Norte, la fin de l'histoire ? La Femme qui est partie brouille les pistes. Plus qu'à un ange de la vengeance d'un film d'Abel Ferrara, Horacia emprunte à la figure de la Stabat Mater – toujours debout, bienveillante, à soutenir ses enfants marginaux autour d'elle, derrière les barreaux ou dans la ville.
1997 : le nombre de kidnappings explose aux Philippines, Mère Teresa se met elle aussi à mourir, et la radio ne semble diffuser qu'une mélopée ininterrompue de disparitions, égrenant les fantômes. Mais plus qu'à ses œuvres mystiques à l'image de Berceuse pour un sombre mystère, La Femme qui est partie rappelle des œuvres plus anciennes du cinéaste, telles que Florentina Hubaldo CTE. Une veine plus âpre, à mi-chemin entre le réalisme social et la parabole, mais où la métaphore parvient, sans faire appel à l'imaginaire ou au merveilleux, à décoller du réel. « Tu es une éducatrice et une conteuse », dit l'impayable Mae Paner (qui joue une directrice de prison) à Horacia. On dirait qu'elle s'adresse à Lav Diaz, témoin politique et magicien poétique.
Comme toujours chez le cinéaste, le temps s'étire (mais cependant moins qu'ailleurs - La Femme qui est partie ne dure que 3h45). On se plonge dans les nuits et ce qui s'y passe. On y distingue des silhouettes avalées par les ombres quand celles-ci, sculpturales, se dessinent plus tard dans la lumière. Si la vie n'a pas toujours de sens, l'esthétique en a certainement un pour le cinéaste, également chef opérateur, chez qui le cadre puissant donne l'impression de voir un film en relief. La dernière partie de La Femme... propose des ruptures formelles (point de vue subjectif, flous) à mesure que l'on s'avance dans les ténèbres absurdes de la tragédie. Dans cette histoire de sacrifices parmi les laissés pour compte. La dimension politique n'interdit pas le mystère, surtout lorsque celui-ci est existentiel, à l'image d'un dénouement d'une beauté incroyable, dans une ville vide et hantée. Et où une fable, en guise de conclusion, raconte la vie, la quête, l'espoir, en un absurde vertige.