Femme fatale
Femme fatale
États-Unis, 2002
De Brian de Palma
Scénario : Brian de Palma
Avec : Antonio Banderas, Eriq Ebouaney, Thierry Frémont
Durée : 1h55
Sortie : 30/04/2002
S'emparant du butin d'un vol, Laure Ash s'enfuit à Paris et tente d'échapper à ses anciens complices qui veulent récupérer leur part. Prenant l'identité d'une jeune femme qui vient de se suicider, elle quitte la France et se marie avec un diplomate américain. Sept années ont passé, Laure Ash est de retour en France. Les photos d'un paparazzi vont la mettre en danger.
Il flotte sur le dernier De Palma une impression de déjà-vu. Comme si le cinéaste, crédibilisé par quelques succès publics successifs bien que discutables, avait pu atteindre la plénitude de son art, et acquérir enfin une totale liberté artistique et personnelle. Comme si, encouragé par le culte voué à ses incroyables plans-séquences et autres mouvements de caméras tape-à-l'œil, il avait décidé d'aller encore plus loin dans l'expérimentation des ressources que lui offre la pellicule. Incroyablement sûr de lui, comme il l'est à l'accoutumée, De Palma se permet tout dans ce qui ressemble à un retour aux sources et aux effets de ses thrillers hitchcockiens du début des années 80 (on pense souvent à Body Double). Ainsi, durant les vingt-cinq premières minutes du film, qui n'ont d'égal que les vingt-cinq dernières, le cinéaste sacrifie à tous ses thèmes, toutes ses obsessions, en décrivant une femme calculatrice, menteuse, perverse, lesbienne, etc. Mais dans cette scène d'ouverture se déroulant durant le dernier Festival de Cannes et faisant suite à un plan séquence discret, De Palma propose également une dichotomie de son œuvre en présentant un fond redondant et une forme novatrice.
Jamais De Palma n'a été aussi libre que dans cette longue scène d'une beauté hallucinante et provocante. Délaissant un temps les artifices qui ont rendu inoubliables les plus grands moments de Snake Eyes, L'Impasse, etc., il réalise sa scène la plus simple, la plus douce (aucune de ses figures de style habituelles telles que les plans-séquences, les split-screens). De courts travellings, quelques ralentis, deux actions en parallèle, une musique magnifique, variation sur le Boléro de Ravel, le cinéaste change. Et pourtant, tout De Palma est là, dans ce travail et cette réflexion sur l'image, dans cette façon de placer le spectateur en position de voyeur (d'une scène érotique filmée sous de nombreux angles différents) et d'objet (régulièrement à la place de l'écran que regardent les invités du Festival). Dans cette manière de faire de nous des pervers, et de nous pointer du doigt comme tels. Nous sommes, malgré la forme nouvelle du film, en terrain connu... Et pourtant...
Et pourtant, Femme fatale constituerait quelque part le film du renouveau pour cet auteur fasciné par un thème récurrent qu'on désignera sous le terme pompeux de "quête de la femme". La femme a toujours été chez De Palma un objet masturbatoire, que l'on observait à travers les écrans vidéo de caméras dissimulées dans des décors caligariesques (Phantom of the Paradise, Snake eyes). Qu'on ne s'y trompe pas, la femme (incarnée par Rebecca Romijn-Stamos) apparaît bien telle quelle dans ce nouveau film, mais elle risque malgré tout de surprendre ceux qui avaient trop vite fait de la ranger aux côtés de l'héroïne depalmienne habituelle (incarnée par Melanie Griffith ou Nancy Allen). En dire plus serait révéler la fin du film, d'une incroyable beauté romantique, attardons nous donc plutôt sur ce qui constitue le véritable changement.
Bien que tournant évidemment autour de cette figure de la femme, et de son corollaire, l'actrice (les deux allant souvent de paire dans le cinéma de genre), Femme fatale est un film hybride, dans lequel l'objet de convoitise serait plutôt l'homme. Incarné par Antonio Banderas, celui que désigne le mieux l'expression "latin lover", le voyeur devient ici le fantasme de celle qu'il observait. Surprenant de la part de celui qui a si bien su filmer la femme comme un objet de fantasme honteux. Dans un film au titre provocateur et explicite, il se permet de détourner subtilement l'attention du spectateur (aux détriments de celui-ci, d'ailleurs), et de la faire focaliser sur ce beau personnage devenant au fil des scènes le pivot de l'intrigue. Une intrigue qui tourne finalement moins autour de ce vol de bijoux que d'un chassé croisé entre l'homme et la femme, jouant tous les deux avec un destin qui s'emmêle. Il y a du Kieslowski dans le nouveau De Palma. Il y a du Kubrick également, celui de Eyes Wide Shut, qui avait si bien su dépeindre un New York onirique.
Tout est ainsi bouleversé dans cette histoire tordue et originale de De Palma. Les repères sont faussés, les marques habituelles n'existent plus, le spectateur va de surprise en surprise, jusqu'à un final impossible à anticiper, et parfait dans sa faculté à retrouver la beauté douce de l'ouverture magistrale du film. Le meilleur film de son auteur ? Peut être, oui.
En savoir plus
Brian De Palma
Le nouveau film de ce cinéaste de génie vient à peine de sortir qu’un flot ininterrompu d’images incroyables nous revient à l’esprit. Des plans audacieux, des scènes superbes, des mouvements de caméra improbables, tels sont les archétypes du cinéma de Brian de Palma. Un cinéma qui s’est construit en près de quarante ans, depuis les premiers essais expérimentaux qui l’ont fait connaître et qui ont fait de lui le cinéaste indépendant le plus prisé de la critique new-yorkaise, jusqu’à ses récents chefs d’œuvre discutés que sont Mission to Mars ou Skake Eyes. Lire la suite du dossier