Faust
Russie, Fédération de, 2011
De Aleksandr Sokurov
Scénario : Aleksandr Sokurov
Durée : 2h14
Sortie : 20/06/2012
Une réinterprétation radicale du mythe, librement inspirée de l'histoire de Goethe. Faust est un penseur, un rebelle et un pionnier, mais aussi un être humain anonyme fait de chair et de sang, guidé par ses instincts, l'avarice et le désir.
THE DEVIL INSIDE
Rarement un film aura si peu ressemblé à l’idée que l’on pouvait s’en faire. Loin d’une reconstitution lente et sépia empesée d’académisme que laissait craindre les premières photos promotionnelles, le nouveau long métrage d’Alexandre Sokourov est au contraire une œuvre complètement folle, un choc esthétique impossible à appréhender. Le public français découvre souvent les Lions d’or longtemps après la fin du palmarès vénitien, et le festival restant beaucoup moins couvert que Cannes, on se retrouve souvent, après des mois de suspens, à se demander « le film est-il à la hauteur ? ». La réponse est définitivement oui. De ce que la rédaction a vu pour l’instant de la sélection vénitienne, il n’y avait d’ailleurs, pour lui faire concurrence, que le Wuthering Heights d’Andrea Arnold (mais qu’attendent les distributeurs pour le sortir chez nous ?) à faire preuve d’un tel niveau d’ambition formelle et narrative. Hitler dans Moloch, Lénine dans Taurus puis Hirohito dans Le Soleil… Faust vient clore une tétralogie que l’on croyait prosaïquement consacrée aux dictateurs, mais qui s’avère traiter plus précisément de la folie, celle qui nait d’un pouvoir devenu trop grand à assumer. Le pouvoir en question n’est ici plus politique, il dépasse le cadre humain, et c’est surtout le film tout entier qui dépasse en ambition les précédents volets cités, et s’impose comme le point d’orgue de la carrière de son auteur.
Faust commence par une séquence des plus magnifiques, plaçant d’emblée le long-métrage sous un double sceau. Tout d’abord celui d’une beauté plastique proprement hallucinante : si le quotidien du protagoniste parait d’abord terne et inconfortable, celui-ci vient peu à peu s’enrichir de filtres et de couleurs improbables à mesure qu’il prend conscience de son pouvoir. La combinaison de la photo de Bruno Delbonnel et de la mise en scène sans pareille du réalisateur russe aboutit à une œuvre plastique parmi les plus marquantes et ambitieuses vues depuis longtemps. Le deuxième aspect annoncé dès cette ouverture, c’est le registre fantastique. Même sous la très sérieuse caméra de Sokourov, l’histoire de Faust reste un conte, donc loin de tout réalisme : un univers irréel, une plongée dans une époque indéterminée, et un récit qui va de plus en plus vers le magique, le symbolique. On retrouve surtout dans ce film un art du grotesque inattendu. Grotesque au sens noble du terme, où l’improbable et l’étrange viennent créer un sentiment d’angoisse et d’inquiétude. Le résultat final rappelle peut-être moins l’enfer grouillant sur terre des peintures de Jérôme Bosch que le chef d’œuvre de l’animation tchèque Krysar, où des rats vivants étaient mélangés à des marionnettes de bois pour créer un fascinant et subtil malaise.
Faust ne démarre certes pas sous son aspect le plus accessible. La première partie du film est en effet la plus ardue, mais ces trésors dévoilés peu à peu lui donnent un air de passionnant grimoire à légendes. Dommage que, malgré son Lion d’or obtenu il y a presque un an, le long-métrage ne trouve son chemin sur nos écrans que cette année. Fut-il sorti en 2011, il aurait tout naturellement trouvé sa place parmi les autres grands films d’apocalypse : The Tree of life, Melancholia ou Le Cheval de Turin. Des œuvres avec lesquelles Faust partage une évidente filiation, la même ambition, et surtout la même qualité.
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Le film a reçu le Lion d'or au Festival de Venise 2011.