Fanfan la Tulipe
France, 2003
De Gérard Krawczyk
Scénario : Luc Besson, Jean Cosmos
Avec : Didier Bourdon, Penélope Cruz, Gérald Laroche, Michel Muller, Vincent Perez, Hélène de Fougerolles
Durée : 1h34
Sortie : 14/05/2003
Pour éviter un mariage forcé, Fanfan, un libertin aventurier, s'engage dans l'armée de Louis XV, poussé par Adeline, la fille adoptive du sergent recruteur qui lui a prédit qu'il se marierait avec la fille du roi. En route vers son campement, il sauve un carrosse royal des mains de bandits de grand chemin. Découvrant que la voiture était celle de Madame de Pompadour et de Henriette, la fille du roi, il voit en cet acte un signe du destin…
Fanfan la Tulipe est certainement, avec D'Artagnan, le personnage de cape et d'épée le plus populaire. Cet aventurier estimé, buveur de vin et coureur de jupon est né au 18ème siècle dans des chansons de soldats de la garnison royale pendant les guerres en dentelles. On le retrouve par la suite en 1819 dans la célèbre chanson de Émile Debraux En avant Fanfan la Tulipe ainsi que dans quelques prestations théâtrales de rue. Avec l'arrivée du cinéma, Fanfan passe à l'écran. En 1907 il s'escrime en noir et blanc dans le film muet éponyme de Alice Guy, puis en 1925 dans une version un peu plus enlevée, dirigée par René Leprince. Mais c'est en 1952, avec le film de Christian-Jaque, que le héros va connaître son heure de gloire. Ours d'argent à Berlin, prix de la mise en scène à Cannes, premier film français à avoir été doublé en Chinois, il est une réussite internationale. A noter que la même année est sortie une BD mettant en scène le personnage qui sera reprise en 1980. C'est sur ce film considéré comme le chef-d'œuvre du genre de cape et d'épée que Luc Besson et Jean Cosmos se sont basés pour adapter une quatrième fois le héros à l'écran.
La couleur a été annoncée depuis longtemps, ce remake, construit comme une sorte d'hommage (il a même obtenu le droit d'ouvrir le 56ème Festival de Cannes), n'a nulle autre ambition que celle de revisiter le scénario de 1952 avec un esprit très 21ème siècle. Pour ce faire, Luc Besson a ressorti sa bonne vieille méthode développée dans ses dernières productions. Un Taxi version 18ème siècle, accrochez vous! Des blagues de potaches et franchouillardes qui tombent à plat, aux personnages mal construits et sans âme réelle, en passant par les traditionnels représentants de l'ordre un peu abrutis et des références cinématographiques mal exploitées, tous les éléments du divertissement bessonnien sont ici réunis. Il faut rajouter à cela un jeu d'acteur lourd et déplorable. Vincent Perez confirme qu'il manque totalement de charisme et Penelope Cruz s'enfonce toute seule en poussant des "Fanfan" insupportables, elle qui avait tant d'avenir dans les productions espagnoles. Quel intérêt d'ailleurs de prendre pour ce rôle une actrice étrangère ne connaissant pas un mot de Français à part essayer d'imiter l'original qui bénéficiait des formes avantageuses de Gina Lollobrigida? Un effet de mode peut-être? On retiendra cependant les prestations de Michel Muller et Hélène De Fougerolles (respectivement Tranche-Montagne, le compagnon de Fanfan, et La Pompadour) qui tirent tant bien que mal leur épingle du jeu.
En fin de compte, même si le style de Gérard Krawczyk semble mieux coller au genre de cape et d'épée qu'à celui des pseudos films d'action à la française que sont les Taxi et consorts, la question reste entière: pourquoi un tel réalisateur pour un film qui aurait pu être meilleur? Krawczyk ne développe aucun rythme réel (si l'on excepte le plagiat de la scène du Bossu en séquence d'ouverture) pour soutenir des combats pauvrement chorégraphiés, dommage. Luc Besson reste l'un des seuls producteurs français à s'attaquer à des projets d'une telle envergure, malheureusement il semble prendre un malin plaisir à rendre ridicule tout ce qu'il touche. La France serait-elle désormais condamnée à voir ses figures mythiques, héros de contes et légendes ou littéraires massacrés au cinéma? Après Jeanne D'arc, Vidocq, Belphégor, la Bête du Gévaudan, c'est ce cher Fanfan la Tulipe qui est passé à la moulinette du 21ème siècle. Un résultat aussi mou et sans saveur qu'un plat de purée mousseline.
En savoir plus
Les guerres en dentelles ou la situation de la France au 18ème siècle
Le 18ème siècle, dit Siècle des lumières est délimité, en France, par le règne de Louis XV (1715-1789). La période est souvent décrite comme le siècle des philosophes (Voltaire), des dirigeants éclairés (Maurice de Saxe, Frédéric II), de la colonisation glorieuse et de la démocratisation des peuples. Mais en réalité c'est une longue période de conflits, de complots, et de trahisons en tout genre. La guerre y est devenu un art régit par les critères culturels de la Libre Pensée. Elle est même un élément curatif aux pires maux du pays: "La guerre corrige la luxure et le faste, elle apprend la sobriété et l'abstinence, elle déracine tout ce qui est efféminé", déclare Frédéric II. Les généraux sont considérés comme des artistes, critiqués, vénérés, idolâtrés comme des stars du show-biz. Pendant que se déroulent sous leurs yeux d'ignobles boucheries, ils mènent du haut de leur promontoire une guerre en dentelle.
Mais comment en est-on arrivé là?
A la fin du 17ème, les traités de Ultrecht et de Radstadt suppriment à l'Espagne toutes ambitions européennes (elle perd entre autre les Pays-Bas, Naples, la Sardaigne, etc.). L'Autriche récupère ainsi la Toscane. La Savoie, devenue un royaume en même temps que la Prusse, obtient la Sicile. La France de son côté réussi à conserver les places fortes de Lille, Condé et Valenciennes se trouvant ainsi hors de portée de L'Espagne à laquelle elle est liée par le sang des Bourbon. Mais les grands vainqueurs de ces traités sont les Hanovre (venus des Pays-Bas) qui réussissent à faire reconnaître leur famille comme maîtresse de l'Angleterre récupérant au passage, toujours au dépend de l'Espagne, Gibraltar et Minorque. L'Europe se trouve alors en déséquilibre instable. L'Espagne n'ayant plus rien réclame des territoires en Italie, la Prusse est considérée comme un pays parachuté en territoires germaniques, les Anglais répudient leur roi qui ne parle pas un mot de leur langue, l'Ecosse se soulève, les pays nordiques sont laissés à leurs libres arbitres, la guerre est imminente. En 1718 les Espagnols débarquent près de Palerme pour récupérer une partie de la Sicile, sans sommation, les Anglais interviennent et coulent la flotte espagnole. L'année suivante, la France déclare la guerre à l'Espagne bien décidée à mener, aux côtés des Anglais, une lutte contre les Bourbon. L'Europe est une pagaille noire, plus personne ne sait où donner de la tête. Dans le même temps, le roi de Suède est assassiné, le pays perd toutes ses conquêtes allemandes que se partagent la Prusse et les Hanovre. De son côté, la Russie devenue ambitieuse, rentre dans le conflit européen qui ne cessera qu'à la fin du siècle.