Fahrenheit 9/11
États-Unis, 2004
De Michael Moore
Scénario : Michael Moore
Avec : George W. Bush, Bill Clinton, Michael Moore
Durée : 2h02
Sortie : 07/07/2004
Depuis les isoloirs de Floride du siècle nouveau jusque sur les plaines pétrolifères d'Irak, Michael Moore dissèque les étranges et effrayants mécanismes qui motivent l'âme économique des Etats-Unis. En mettant le doigt dans les plaies de son pays, Moore livre un combat plus virulent que jamais.
ŒUVRE DE SALUBRITE PUBLIQUE
C'est après une séquence d'introduction retraçant la manière pitoyable dont Bush Junior a été élu à la tête de la plus puissante nation du monde que le vrai film de Michael Moore commence. D'abord un écran noir et de lourdes basses qui font trembler le sol. Deux avions s'écrasent sur les tours du World Trade Center sans aucune image. Des sons devenus aveugles contrastent avec les traditionnelles images muettes qui ont submergé les médias après le 11 septembre. Clairement, Moore n'a pas cherché à traiter le sujet comme les autres, en affichant d'emblée une sobriété, une pudeur et une certaine distance là où d'autres médias ont fabriqué de l'emphase sur le fond d'un drame humain sans précédent. L'image des tours ira se refléter dans les yeux de ces hommes et de ces femmes, hagards, qui regardent vers le ciel sans comprendre ce qui se passe. Et elle se verra surtout dans ces quelques plans au ralenti, véritables cadres de cinéma où des êtres humains courent au milieu des débris avec, au premier plan, pathétique, un listing d'ordinateur, probablement tombé du haut de l'une des tours. Images que l'on croirait irréelles, fabriquées, portées par une beauté morbide, volées au réel le plus dur. Pour son Fahrenheit 9/11, Michael Moore n'abandonne pas ses propres idées de mise en scène et d’écriture si acides, il les remet juste dans la perspective de son propos – tout en se mettant moins à l’image, mais en continuant d’assurer une voix-off omniprésente. Au risque d’amenuiser la folie de son film. Ici pas de petit dessin animé racontant l’histoire de l’Amérique comme pour Bowling for Columbine. Mais ce qu'il perd en fantaisie, il le gagne en spontanéité mordante, en constat d’urgence.
WAR
Prenant la température d’une Amérique malade de ses démons et de ses excès, Michael Moore fustige, dénonce et tape du poing sur la table. Fahrenheit 9/11 est un pamphlet, une déclaration de guerre idéologique à l’encontre des puissants tapis dans l’ombre, des lobbies industriels qui décident des intérêts des Etats-Unis. Ce n’est pas qu’une simple (et simpliste diront certains) charge contre Bush Junior, ce n’est pas une œuvre de propagande – ceux qui affirment de telles choses ne connaissent manifestement pas le sens de ce mot – ce n’est pas non plus un documentaire qui tendrait à montrer les choses objectivement. Fahrenheit 9/11 est un cri d’alarme, un coup en pleine face, le reflet d’une réalité vu par un pessimiste qui aimerait croire que les choses peuvent changer. Malgré son indéniable filiation avec les précédents films militants de Moore, Fahrenheit n’est pas Bowling for Columbine ni Roger & Moi ou The Big One. Moore agit sans recul et à chaud, mais toujours avec sa traditionnelle pertinence dans un domaine qui réclame un tel traitement. Ce n’est plus un sujet qui prend racine dans les fondements d’une société (comme le problème des armes à feu ou la libéralisation des échanges), mais plutôt une critique de l’hégémonie d’une société, d'une déshumanisation et du mépris de la différence, de l’autre non-conforme. Un pays qui s’est construit sur la conquête – souvent sanglante – de nouvelles terres prouve que cet esprit demeure, mais passe à présent par la recherche de nouveaux marchés, malgré les êtres humains. "Nous pensons que la situation va être bonne… Bonne pour les affaires, mauvaises pour les gens", dit l’un de ces businessmen.
SUPER SIZE MIKE
Emporté par la complexité de son sujet, par ses tenants et aboutissants, Fahrenheit devient parfois confus dans son exposé des relations entre Amérique et proche-Orient. Qu’importe, Moore compte sur l’intelligence de son spectateur pour remplir lui-même les blancs. De même qu’il ne prend pas le temps de présenter Dick Cheney, Donald Rumsfeld ou Condoleeza Rice, visages connus aux Etats-Unis mais relativement anonymes chez nous. Moore ne désire pas que le spectateur soit passif, il se doit de réfléchir, d'interroger ce qu’il voit, au même titre que lui-même interpelle sa société. Ce n’est qu’avec cette disposition que l’on pardonnera les rares raccourcis et imprécisions qui bordent son film, tant la démonstration et les idéaux sont eux-mêmes implacables. Moore n’épargne rien ni personne. Ni les démocrates – qui se rangent inconditionnellement derrière leur adversaire politique – ni les médias vendus à la cause de Bush. Le président américain passe au mieux pour un idiot irresponsable au lexique réduit et au pire pour un pantin médiocre et manipulé par des puissances industrielles qui le dépassent. Michael Moore livre alors une œuvre-somme, complexe, dont les implications dépassent le simple cadre du documentaire filmé. Un fleuve avec sa source-superstar à qui il arrive de noyer la subtilité au profit d’une émotion parfois un peu facile, mais dont l’utilité ne devrait pas être à prouver. C’est à cela aussi que peut servir le cinéma: ouvrir les yeux sur le monde dans lequel nous vivons.
En savoir plus
Après avoir obtenu en 2002 le prix du 55e Festival de Cannes – pour Bowling for Columbine - des mains de David Lynch, Michael Moore a été récompensé cette fois des mains de son compatriote militant Quentin Tarantino. En effet, en 2004, jetant ainsi les premières lumières sur une future carrière prometteuse, Fahrenheit 9/11 se voit décerner la Palme d’Or, et devient instantanément l’un des plus gros films de l’été américain. Sa carrière en salles ne fait que le confirmer – après une tentative de censure? – puisqu’il obtient le meilleur résultat pour un documentaire. Record détenu auparavant par un certain Bowling for Columbine. Michael Moore la nouvelle voix de l’Amérique?