Examen (L’)
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Emtehan
Iran, 2002
De Nasser Refaie
Scénario : Nasser Refaie
Avec : Farzin Aghaie, Ali Hosseini, Aghdas Khoshmou, Raya Nasiri, Nahid Refaie, Nahid Sarvmeyli
Durée : 1h20
Sortie : 17/03/2004
Comme tous les ans, des dizaines de femmes se massent aux portes d’une école de Téhéran, pour y passer un examen d’entrée à l’université, l’un des derniers moyens d’accès à une certaine dignité sociale dans une société gangrenée par l’intégrisme religieux. Comme tous les ans, toutes ne l’auront pas. Mais comme tous les ans, toutes s’observent, se jalousent, se soutiennent, tant bien que mal.
IRANIEN PUR SOUCHE
Laissons passer les esprits chagrins: oui, L’Examen est un film iranien, avec tout ce que cela sous-tend de réflexions sociales, sur la place de la femme notamment, de portraits de groupe et de plans-séquences. Mais L’Examen est avant tout un BON film iranien, avec tout ce que cela sous-tend de sensibilité, de pertinence, de modestie, d’approche documentaire et de maestria visuelle et sonore. Ce qui n’est pas rien. Ancien assistant réalisateur de Babak Payami (dont le récent Un Jour de plus ne nous a pas convaincus plus que ça), Nasser Refaie signe là son premier long métrage, véritable bête de festival - Farj, Venise, Toronto, Chicago, Mannheim, Nantes, Philadelphie, on en passe et non des moindres. Et pour cause. L’Examen compte parmi ces films post-néoréalistes que seul le cinéma iranien est capable de nous fournir. Tourné en quarante-trois jours, en extérieur, dans des décors naturels, attentif à maintenir une unité de lieu et de temps, et témoignant, par son dispositif narratif particulier (captation de bouts de vie au sein d’une foule pullulante), d’un souci constant de coller au plus près à la réalité iranienne, L’Examen semble en effet relever, thématiquement autant que formellement, de la nouvelle vague européenne du début des années 60. On y retrouve la même volonté d’illustrer des conflits de valeurs, témoins d’une société en crise, partagée entre les anciens et les nouveaux, secouée par des velléités libératrices fortes, similaires à celles que l’on peut croiser à la même époque en France ou en Angleterre (voir par exemple A Taste of Honey du britannique Tony Richardson, sorti en 1961).
NOUVELLE "NOUVELLE VAGUE"?
Pour étrange qu’il puisse paraître, ce parallèle peut cependant valoir pour l’ensemble de la production iranienne actuelle qui, après une pénible traversée de l’ignominieux désert de la censure, semble reprendre des forces. Difficile dans ces conditions de ne pas penser, par exemple, au cinéma polonais du début des sixties, qui accueillait en ses rangs une quinzaine de jeunes loups issus pour la plupart de la Lodz Film School, parmi lesquels Jansz Majewski, Henryk Kluzza, Jerzy Skolimowski et Roman Polanski. C’est l’époque où le septième art polonais renaît de ses cendres, après de longues années de joug soviétique. La mort de Staline en 1953 a fait s’affaisser les règles du réalisme socialiste fixées au Congrès de Wisla en 1949, et des réalisateurs tels que Alexandre Ford, Jerzy Kawalerowicz, Andrzej Wajda, Jan Rybowski, Czeslaw Petelski ou Andrzej Munk se sont employés à briser ces schémas archaïques. Il s’agit désormais de montrer la société polonaise telle qu’elle est vraiment, en revenant sur l’Histoire récente et en n’hésitant pas à avoir recours à un réalisme noir proche du néoréalisme. Le parallèle avec le nouveau cinéma iranien, attaché à donner à voir une représentation empreinte de réalisme de la société et de son Histoire, est donc parlant. Il convient néanmoins de rester prudent: l’Iran est loin d’être libéré de la dictature religieuse et la fine fleur du cinéma iranien vit muselée.
DE POLANSKI A MAKHMALBAF
Reste que dans ce cas précis, Nasser Refaie semble l’héritier indirect (et sans doute involontaire) du Roman Polanski de Noz w wodie (Le Couteau dans l’eau), qui s’attachait en 1962 à ouvrir la voie à un courant particulier de la Nouvelle Vague polonaise, en se détachant progressivement des fantômes du passé pour se tourner vers des préoccupations nouvelles, plus en phase avec leur société, telles que les libérations artistique et sexuelle. Tout comme Polanski, Refaie s’est formé avec les grands (Payami ou Ali Talebi pour Refaie, Skolimowski et consorts pour Polanski), assume ce legs cinématographique, mais aspire à un peu de fraîcheur. Aussi peut-on être tenté de comparer L’Examen avec le célèbre Salaam Cinema de Mohsen Makhmalbaf. Dans les deux cas, il s’agit de donner à voir un instantané de la société iranienne, et des femmes en particulier, à travers ses espoirs de réussite sociale, mais également via le prisme déformant de la sélection. Seulement, il n’y a pas chez Refaie l’ironie cruelle de Makhmalbaf, ce petit jeu de massacre sadique dans lequel le patriarche du cinéma iranien est souvent à deux doigts de se complaire. Au contraire, L’Examen, par son humour et sa touchante simplicité, témoigne de l’attachement porté par Refaie à ses personnages. Une véritable affection pour ces destins particulier, qui s’unissent un temps, pour se rejoindre dans l’adversité, dans un sublime travelling final, liant entre elles et refermant avec force les histoires morcelées dont se compose le film. Comme Abolfazl Jalili, ou Kiarostami avant lui, Refaie est un cinéaste éminemment positif. C’est ce qui manque aux Makhmalbaf pour nous convaincre. Et pourtant, Allah sait combien l’Iran souffre de ses carences d’optimisme.
