Etre sans destin

Etre sans destin
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Etre sans destin
Hongrie, 2006
De Lajos Koltaï
Scénario : Imre Kertész
Avec : Aron Dimény
Durée : 2h15
Sortie : 03/05/2006
Note FilmDeCulte : ****--

Gyurka est un jeune adolescent de 14 ans. Un jour, non loin de Budapest, il est arrêté par un policier hongrois. Après une longue attente avec d’autres adolescents, il est emmené vers une destination encore inconnue et qu’il a du mal à prononcer : Auschwitz-Birkenau. Il est ensuite transféré de camp en camp. L’enfer commence: l’humiliation, la faim, le froid, les maladies...

AUSCHWITZ, DOULEUR ET ATTENTE

"A Auschwitz, on attend qu'il ne se passe rien". Cette phrase, laconique, définitive, presque choquante, se détache de l'œuvre de Kertez telle une sentence douloureuse, véritable profession de foi d'un auteur désireux de donner sa propre vision de la Shoah. L'attente, l'amitié, le bonheur: des notions rares, presque interdites, dans les films ou les livres consacrés à cette partie de l'Histoire. Deux idées principales, froides et sèches: les camps ne sont pas l'enfer ; dans les camps, le bonheur existe aussi. C'est autour de ces deux axiomes que le film de Lajos Koltai s'articule. Montrer la réalité des camps, dans toute l'horreur de son quotidien, une horreur réelle, malgré — ou grâce à — son côté parfois onirique (certaines scènes très fortes, notamment celle, sublime et terrifiante, où les prisonniers sont tenus de rester debout, en rang, sans bruit, durant plusieurs heures). L'enfant rectifie à la fin du film, dans un très beau dialogue, les propos de son oncle: l'enfer est une notion irréelle, inhumaine. L'enfer n'est pas sur Terre, contrairement aux camps. Ce qu'il a vécu, la tourmente des années de guerre, l'exode et la ghettoïsation des juifs, ainsi que leur extermination, ont été programmés, administrés par l'Homme. Le Diable n'a rien à voir là-dedans. Et le bonheur, comment le justifier? Par ces petites pensées quotidiennes qui chaque jour réconfortent les prisonniers: les souvenirs du passé, les réminiscences d'un repas abondant alors que celui du jour est ascétique. C'est là que réside la force du film, dans cette volonté de dépoussiérer l'idée que l'on se fait des camps, au travers d'une histoire à la durée un peu longue (le film parait parfois interminable), mais à l'originalité certaine.

Ironiquement, alors que l'auteur critique ouvertement dans ses propos le film de Spielberg, Etre sans destin et La Liste de Schindler partagent le même point de vue sur la représentation cinématographique des camps, jusque dans la scène des douches (qui avait été tant reprochée à Spielberg, en raison du suspense qu'il créait autour de sa finalité, et qui est ici reproduite quasiment à l'identique). Etre sans destin est un film sur la vie, et la survie, dans les camps: "Je voudrais vivre encore un peu dans ce beau camp de concentration". Ne pas montrer les morts ni les corps, sauf au détour de scènes aux contours oniriques. Les chambres à gaz, Kertez ne les montre pas, ou les contourne très exactement de la même manière que Spielberg: l'horreur des camps et des douches n'est pas montrable ou représentable. D'où, dans un sens, l'inutilité totale, pour les survivants, d'en témoigner — comme l'exprime l'enfant à un journaliste à son retour des camps (scène par ailleurs bien plus forte, plus désespérée et mieux amenée dans le roman). Dans ce film imparfait, sans doute un rien trop consciencieux, c'est toute l'horreur d'un dispositif historique qui est mis à jour, à travers le destin plus ou moins autobiographique du personnage principal. Quelques scènes restent, le film marque, mais il manque malgré tout la folie, ou le métier, d'un Polanski ou d'un Spielberg, pour réellement élever l'œuvre au niveau du livre dont il s'inspire. Sans être redondant avec Le Pianiste ou La Liste de Schindler, Etre sans destin ne parvient malheureusement pas à surprendre.

par Anthony Sitruk

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