Etrange Festival: Être cheval
Le pony-play est le jeu de domination entre un dresseur et un dressé, harnaché, métamorphosé et devant se comporter comme un cheval. Ils seraient plusieurs dizaines de milliers d’adeptes de cette pratique à travers le monde. Jérôme Clément-Wilz a suivi l’un d’eux : Karen, transgenre, 50 ans, professeur à la retraite, dans sa quête initiatique pour assouvir ses fantasmes.
LA (VRAIE) VIE AU RANCH
"Moi, je suis punk". C'est l'une des premières phrases de Être cheval, prononcé par la protagoniste du film, adepte du pony-play. Dans sa bouche ce n'est ni une provocation, ni une justification, c'est même l'inverse. Par cette phrase, le film nous prévient d'entrée: il est ici moins question de sexualité que d'état d'esprit, de philosophie. L'androgyne et queer Karen a beau avoir le dos bardé de cicatrices, entraperçues lors d'un plan fugace (et balayées d'un laconique et léger "Ça me vient de combats au couteau"), c'est son recul et son équilibre qui frappent avant tout. Karen a la tête sur les épaules, sait très bien ce qu'elle fait et pourquoi elle le fait. Être cheval n'est pas un freak show, ce n'est pas non plus un épisode de Striptease où l'on scruterait la folie quotidienne en plan rapproché. Le documentaire de Jérôme Clément-Wilz frappe au contraire par sa pudeur et son respect.
Les scènes de dressage n'y sont jamais choquantes, ou même drôles malgré elles. Car le pony-play n'est pas un fétichisme sexuel – il n'y a d'ailleurs même pas de rapport sexuel entre le dresseur et son dressé. Il y a certes un équipement lourd à porter, des œillères, des cordes qui servent au dressage, mais ce n'est pas du sado-masochisme pour autant. Le vrai SM, remarque Karen, ce serait plutôt la violence de nos vies quotidiennes urbaines. Le ranch de Floride où elle part faire son apprentissage apparaît au contraire comme une parenthèse enchantée, coupée du monde. Un lieu où peuvent s'exprimer les identités les plus alternatives. Une autre adepte du dressage se présente d'ailleurs spontanément à la caméra moins comme un homme ou une femme que comme une licorne - là encore, sans que cela paraisse drôle. C'est d'ailleurs moins l'effort physique régulier que le retour à la réalité qui est difficile: chaque séance se termine par un vertige pour Karen, qui sort de costume comme d'un rêve qu'on ne veut pas quitter.
Malgré une forme brute, Être cheval parvient à toucher du doigt avec émotion ce qui paraît être les paradoxes du pony-play: la libération à travers la contrainte, les efforts pénibles mais volontaires et gratifiants, l'affirmation de soi à travers le port d'un costume. Tout ceci ne vous rappelle-t-il rien ? Les scènes de dressage témoignent de la naissance d'un profond rapport de confiance entre dresseur et dressé... finalement comme dans un sport d'équipe. "Je suis punk", nous prévenait le film. Il ne l'est pas seulement en montrant en quoi le pony-play n'a rien de choquant, que les motivations y sont finalement les mêmes que pour d'autres pratiques bien plus acceptées, il l'est surtout en nous renvoyant en reflet une image étroite et anxiogène de notre monde extérieur.