L'Étrange petit chat

L'Étrange petit chat
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Etrange petit chat (L')
Merkwürdige Kätzchen (Das)
Allemagne, 2013
De Ramon Zürcher
Scénario : Ramon Zürcher
Durée : 1h12
Sortie : 02/04/2014
Note FilmDeCulte : *****-
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Simon et Karin rendent visite à leurs parents et à leur petite sœur Clara dans leur appartement berlinois. Ces retrouvailles apparemment ordinaires font basculer les personnages dans un monde étrange où se déploie une exaltante chorégraphie du quotidien.

INCONSCIENT COLLECTIF

Alors que la génération dite de l’École de Berlin, apparue il y a une petite dizaine d’années en festivals, est aujourd’hui globalement identifiée (à défaut d’être célébrée à son juste mérite), c’est un premier film signé d’un quasi-inconnu qui vient en offrir le meilleur exemple récent. Derrière son titre doux et mystérieux à la fois, L’Étrange petit chat reprend effectivement à son compte plusieurs codes du cinéma germanophone récent : une économie de dialogues donnant poids au non-dit et créant une sourde menace hors-champ, et une inquiétante étrangeté faisant pencher les apparences triviales vers le fantastique. Mais Ramon Zürcher (lire notre entretien) ne se contente pas de revisiter des formules déjà testées par ses prédécesseurs. Plus qu’un condensé, son film est une épure radicale de ces qualités d’écriture. Le résultat est un film hautement personnel et percutant, une première œuvre qui paradoxalement ne ressemble surtout à rien de ce que l’on connaisse ici, une petite bombe dont le minimalisme n’a d’égal que l’intransigeance.

Pourtant, le récit de L’Étrange petit chat pourrait difficilement avoir l’air plus banal et bucolique : entre pelures d’oranges et couverts à dresser, les membres d’une famille s’affairent légèrement dans la cuisine d’un appartement en vue de préparer un déjeuner familial, et c’est presque tout. Mais le quotidien est ici presque poussé dans ses retranchements, observé à la loupe jusqu’à être déformé, rendu anormal et presque monstrueux. Le paradoxe du film tient dans cette capacité hors-pair à anamorphoser le quotidien sans jamais cesser de le rendre ultra-réaliste. Pas simplement crédible mais vraiment réaliste, ce qui en terme d’écriture est une tout autre paire de manche. C’est d’ailleurs une tâche à laquelle les cinéastes indépendants allemands excellent plus que tous autres, leur réalisme a de quoi faire honte à ce que nous nommons réalisme chez nous.

Un silence un peu trop long, un soupir, un regard lourd de tension… plutôt que de traiter ces éléments comme d’éventuels grains de sables venant gripper des rouages convenus, Zürcher s’en sert comme ingrédients d’une autre mécanique : le portrait progressif d’un inconscient familial qui s’exprime entre les lignes, à l’insu des personnages. Derrière de plaisantes apparences, le film nous montre à quel point la violence et la folie ne sont jamais très loin. Qu’une fillette s’amuse à hurler en jouant, quoi de plus normal ? Mais si celle-ci refuse de s’arrêter de crier, à quel moment la tension finit-elle par déborder ? Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette famille pourtant heureuse, quelque chose de désincarné qui sonne faux à la fois chez les personnages (souvent coupés en deux par une caméra tantôt à hauteur d’enfant, tantôt à hauteur… de chat ?) ainsi que dans leurs relations. Comme si chacun se forçait parfois à parler et agir, comme si tout le monde jouait son propre rôle au sein de cette réunion familiale, au même titre que les objets quotidiens utilisés pour le repas (et observés avec la même distance). Une bouteille qu’on fait tourner sur la table et qui refuse de s’arrêter, des aliments récalcitrants qui refusent de se laisser découper… Humains, animaux et objets semblent évoluer avec leur logique propre, mus par une volonté inconsciente ou extérieure. A l’image du masque cosmétique qu’il ne faut surtout pas enlever trop tôt mais qu’on a du mal à décoller si on le garde trop, scène saisissante où tout menace de basculer dans une autre dimension.

Mais le fantastique selon Zürcher est d’autant plus saisissant que le pas n’est jamais franchi, tout reste réaliste mais sans cesse suggéré. Le jeune réalisateur décrit lui-même son film comme « un film d’horreur sans horreur ». Une formule gagnante car c’est justement en s’attachant aux apparences les plus triviales que le jeune réalisateur fait tomber les masques et touche paradoxalement à l’humanité de son sujet. De la même manière que Chantal Akerman parvenait à rendre palpable l’horreur d’une situation familiale carcérale en filmant uniquement Delphine Seyrig découpant des patates dans son chef-d’œuvre Jeanne Dielman, L’Étrange petit chat bout d’une tension sourde et singulière, comme une cocotte-minute au bord de l’implosion mais qui ne déborde jamais, et qu’on ne peut s’empêcher de scruter, fasciné par tant de remous internes. Un premier film qui laisse pantois.

par Gregory Coutaut

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