L'Eté des Poissons Volants
Verano de los peces voladores (El)
Chili, 2013
De Marcela Said
Scénario : Marcela Said
Durée : 1h27
Sortie : 23/04/2014
Manena est une adolescente déterminée et la fille adorée de Pancho. Ce riche Chilien, grand propriétaire foncier, ne consacre ses vacances qu’à une seule obsession : l'invasion de sa lagune artificielle par des carpes. Alors qu’il recourt à des méthodes de plus en plus extrêmes, Manena connaît cet été ses premiers émois et déboires amoureux – et découvre un monde qui existe silencieusement dans l’ombre du sien : celui des travailleurs indiens Mapuches qui revendiquent l’accès aux terres, et s’opposent à son père.
L’ÉTÉ DE TOUS LES DANGERS
L’Eté des poissons volants s’ouvre sans faire de bruit, dans le décor à la fois banal et fantasmagorique d’un étang recouvert de brume. Le premier film de fiction de la documentariste Marcela Said (lire notre entretien) avance sur la pointe de pieds, se fait discret mais fantomatique, mélangeant familiarité et inquiétude. Et autant le dire tout net, c’est l’une des révélations les plus enthousiasmantes de la Quinzaine des Réalisateurs 2013. Dès la deuxième scène, on aperçoit brièvement un chien se noyer de manière pataude, puis cut, on n’y reviendra jamais. Le ton est donné : la jeune Mané et sa famille vivent au cœur d’une nature où la mort est un élément quotidien, un détail coutumier. Dans cet entourage familial comme dans les relations des protagonistes avec leurs domestiques, la violence est aussi présente en arrière-fond, comme un parfum entêtant qu’on essaie de chasser. On mange ses gâteaux d’anniversaire dans la piscine mais on éclate de rire quand un domestique se blesse. Tout est normal.
Et pourtant L’Eté des poissons volants n’est pas un film violent. A vrai dire, il est plus facile de dire ce que le film n’est pas plutôt que ce qu’il est, car Marcela Said évite les clichés et les définitions (on n’est ni dans la simple chronique familiale, ni dans le brûlot social, ni dans le « film d’adolescente s’ouvrant au monde ») et crée sa propre narration impressionniste. On n’est pas ici face au genre de film à vouloir avant tout aller du point A au point B de son récit. Sans jamais perdre de vue la clarté de son intrigue (chapeau, d’ailleurs), la réalisatrice avance par petite touches, en se focalisant autant sur le déroulement des actions que sur leur perception. Le travail autour des sensations (sons étouffés, la musique électro-triste, les magnifiques reflets… ) donne au film une qualité qui ne trompe jamais : l’histoire y est autant contée par le scénario que par la mise en scène. Parfois, souvent, au détour de scènes classiques surgissent des images bouleversantes, fulgurantes de beauté : des eaux troubles se reflétant sur un visage troublé, une fillette face à un molosse endormi, un dialogue amoureux où le visage du jeune homme reste net tandis que celui de la fille devient de plus en plus flou…
Marcela Said fait preuve d’un vrai talent dans la composition esthétique mais aussi dans la finesse d’écriture. Sans jamais verser dans les discours ou la théorie, son film parvient à dire entre les lignes des choses très justes et inédites sur l’état d’adolescence, sur la violence et la négation de la violence. Derrière des apparences humbles et mini, L’Eté des poissons volants se révèle être un film de détails, aux qualités à la fois subtiles et éclatantes.