Cannes 2018: En guerre
France, 2018
De Stéphane Brizé
Avec : Vincent Lindon
Durée : 1h53
Sortie : 16/05/2018
Malgré de lourds sacrifices financiers de la part des salariés et un bénéfice record de leur entreprise, la direction de l’usine Perrin Industrie décide néanmoins la fermeture totale du site. Accord bafoué, promesses non respectées, les 1100 salariés, emmenés par leur porte‑parole Laurent Amédéo, refusent cette décision brutale et vont tout tenter pour sauver leur emploi.
LE NERF DE LA GUERRE
Après le malheureux échec en salles du pourtant très beau Une vie, le réalisateur français Stéphane Brizé revient à ce qui pourrait sur le papier ressembler à la formule de La Loi du marché. Retour au drame politique, retrouvailles avec Vincent Lindon – et la loi du marché sous-tend également les enjeux de ce nouveau film, En guerre. Mais par sa construction, son sentiment parfois d'inconfort, par son refus du mélo plus douillet, En guerre garde en lui un peu de la radicalité de sa surprenante adaptation de Maupassant.
En guerre débute par un effet de réel : on regarde le journal télévisé et d'un coup ce qui se passe devant nos yeux se déroule réellement. Brizé place sa caméra dans le groupe, à la table de discussion, une tête ou des cheveux dans le champ et nous immerge dans les échanges houleux. On parle beaucoup dans En guerre, et cette parole est déjà une action – le film est aussi vif, tendu et épuisant qu'un film d'action dont les personnages renverseraient des montagnes. La parole est au centre certes, mais En guerre est surtout un film où les protagonistes s'assurent les uns les autres qu'ils s'écoutent, s'entendent – et demeurent pourtant sourds. Brizé décrit une incommunicabilité dans toutes ses nuances : par mauvaise foi, par petitesse, mais aussi parfois parce que les personnages, ouvriers aux objectifs concrets ou direction face aux enjeux de la mondialisation, ne parlent tout simplement pas la même langue.
Cette place laissée au dialogue confronte les ouvriers et leurs supérieurs, mais aussi les ouvriers entre eux. C'est entre autres choses ce qui démarque En guerre des récents films au mieux gentils, au pire infantilisants de Ken Loach (dont le monde n'est désormais plus constitué que de gentils et de méchants) : les personnages ne sont pas d'un bloc et le film, qui n'est pas binaire, n'a pas pour mission de chanter le beau conte réconfortant de chevaliers blancs. A l'image l'an passé de 120 battements par minute qui, par son usage de la parole, constituait un beau film sur le pouvoir du militantisme, En guerre est un film fort sur le pouvoir du syndicalisme. Mais Brizé raconte une tragédie sociale trop désastreuse pour passer du vernis sur ce qu'une telle histoire peut avoir de désespérant. Le film, impressionnant, est porté par une colère qui ne donne jamais l'impression que son titre est métaphorique.