En avant, jeunesse
Juventude em marcha
Portugal, 2007
Durée : 2h35
Sortie : 13/02/2008
FESTIVAL DE CANNES 2006 - Clotilde a quitté Ventura, ouvrier capverdien de la banlieue de Lisbonne. Perdu entre Fontainhas, l'ancien quartier délabré où il a longtemps vécu, et son nouveau logement, Ventura va à la rencontre d'âmes solitaires qui deviennent ses enfants.
CIMAISES M'ÉTAIENT CONTÉES
S'il n'y avait eu Cannes, aurait-on pu voir le dernier film de Pedro Costa? Question rhétorique, mais pas uniquement. Deux ans après sa présentation, traitée sur un mode essentiellement anecdotique par la plupart des médias présents au festival, En avant, jeunesse arrive enfin au terme de ses déboires de distribution. Avant même que de poser des questions de cinéma, cette sortie tardive pose des questions structurelles. D'aucuns pourraient les supposer démenties par le calendrier, puisque Costa revient dès la semaine prochaine, par le biais de son segment de l'omnibus État du monde. C'est se voiler la face: on ignore, à l'heure où ces lignes s'écrivent, sur quelle combinaison de salles la jeunesse et le monde seront visibles. Mais préciser qu'on hésite même à parler au pluriel est un bon indicateur de notre désabusement. Bien sûr, Ventura n'est pas Astérix et comparer 1088 Goliath et une poignée de David serait au moins manichéen. N'empêche: drôle de destin pour une sélection officielle...
Alors quoi, En avant, jeunesse, pas montrable? Évidemment si. Rien d'insurmontable chez Costa, rien d'abscons. Au contraire: chaque plan crie son évidence. La maîtrise sidérante de la mini-DV est vécue non comme exploit technique, mais comme lecture claire de l'état d'un monde, justement. Fontainhas existe ainsi, découpé en tableaux colorés et richement composés, tant triviaux qu'élégiaques, aplats de lumière pour première couche, décors et récitants comme peints par-dessus. C'est autant la superbe que la limite du film; sa plasticité et sa muséographie. Tel Ventura à la fondation Gulbekian, s'installant trop cérémonieusement sur un luxueux canapé pour y contempler un Rubens, l'on irait bien parfois décrocher de leurs cimaises certains plans figés dans leur perfection.
Il faudrait ici nommer le problème: dirait-on montage, rythmique? Éventuellement. Aurait-il fallu couper court au sublime, sacrifier la seule beauté contemplative sur l'autel de la coupe? Est-ce là reproche trop facile pour Costa, cinéaste de la patience? Voici une autre piste: l'épuisement du film se joue peut-être moins sur sa lenteur que sur son immobilisme. Et le systématisme moins sur l'hiératisme esthétique (qu'on aurait tort de déplorer pour lui-même) que sur l'enfermement. Si les séquences finales, au fil de l'eau et des frondaisons, saisissent tant, n'est-ce pas pour leur mobilité, pour leur respiration?