Detroit

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Detroit
États-Unis, 2017
De Kathryn Bigelow
Scénario : Mark Boal
Durée : 2h23
Sortie : 11/10/2017
Note FilmDeCulte : *****-
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Été 1967. Les États-Unis connaissent une vague d’émeutes sans précédent. La guerre du Vietnam, vécue comme une intervention néocoloniale, et la ségrégation raciale nourrissent la contestation. À Detroit, alors que le climat est insurrectionnel depuis deux jours, des coups de feu sont entendus en pleine nuit à proximité d’une base de la Garde nationale. Les forces de l’ordre encerclent l’Algiers Motel d’où semblent provenir les détonations. Bafouant toute procédure, les policiers soumettent une poignée de clients de l’hôtel à un interrogatoire sadique pour extorquer leurs aveux. Le bilan sera très lourd : trois hommes, non armés, seront abattus à bout portant, et plusieurs autres blessés...

MOTEL DES AMÉRIQUES

Avec Démineurs, le film qui a fait d'elle la seule réalisatrice oscarisée de l'Histoire, et Zero Dark Thirty, Kathryn Bigelow prenait sans plus attendre le pouls de l'Amérique : la guerre en Irak et l'addiction virile à la violence, la traque de Ben Laden et la chasse d'un fantôme. Detroit en revanche ne semble pas à première vue se concentrer sur l'Amérique d'aujourd'hui puisque les événements ici décrits se sont déroulés il y a pile 50 ans. Mais, en sinistre écho à Ferguson en 2014 et à Charlottesville cette année, à aucun moment Detroit ne semble parler d'autre chose que d'ici et maintenant en Amérique.

La situation dans Detroit bascule très rapidement après l'intrusion violente de la police dans l'un des lieux symboliques de la culture noire à Detroit. Un boucan d'enfer envahit la ville et des émeutes ont lieu à l'ombre des usines Ford. C'est une traînée de poudre, que Bigelow et son scénariste Mark Boal ne prennent pas la peine de psychologiser. On reconnaît la méthode Bigelow : ce cinematic journalism qu'elle revendique et qui ne s'embarrasse pas de romanesque, cet usage ultra-maîtrisé de multiples caméras, du mouvement et du recadrage pour faire corps avec l'urgence et l'électricité de la situation. Est-ce un spectacle popcorn pour autant ? Bien sûr que non : la violence chez Bigelow est bien plus effrayante et dégoûtante que fascinante et excitante.

Detroit se resserre peu à peu sur un épisode de ces émeutes qui ont duré cinq jours d'un été brûlant. Cette structure est déroutante dans le meilleur sens du terme – on a parlé de méthode Bigelow mais celle-ci n'étouffe pas la liberté que la cinéaste peut avoir, et lui permet à la fois une certaine radicalité tout en restant accessible. Detroit explore les racines de la défiance envers la police dans ce récit dense et irrespirable de brutalité et d'intimidation envers les Noirs. Bigelow cite James Baldwin en interview - « Nothing can be changed until it is faced » (« On ne peut pas résoudre les problèmes tant qu'on ne les regarde pas en face »). Le film, avec une puissance inconfortable, ne détourne pas le regard.

La légitimité de Kathryn Bigelow, en tant que femme blanche, a été questionnée outre-Atlantique pour aborder un tel sujet : la réalisatrice elle-même a avoué ne pas être la personne idéale pour s'emparer de tels thèmes – mais à ses yeux, la question d'enfin raconter cette histoire, cinq décennies plus tard, au cinéma, était la plus cruciale. Plus important encore : faire Detroit, c'est aussi prendre sa part de responsabilité en tant que membre de la communauté blanche. Ce regard-là, aujourd'hui, est profondément politique et singulier, à la fois engagé mais sans didactisme – l'expérience de Detroit est intense et assoit un peu plus sa réalisatrice comme une grande portraitiste de l'Amérique contemporaine.

par Nicolas Bardot

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