Day Night Day Night
États-Unis, 2007
De Julia Loktev
Scénario : Julia Loktev
Avec : Frank Dattolo, Annemarie Lawless, Nyambi Nyambi, Gareth Saxe, Luisa Williams
Durée : 1h34
Sortie : 04/04/2007
Une jeune fille de 19 ans se prépare à commettre un attentat suicide à Times Square. Elle n'a aucun accent, si bien qu'il est impossible de savoir d'où elle vient. Nous n'apprendrons jamais pourquoi elle a pris cette décision, puisqu'elle a été prise il y a longtemps déjà. Nous ignorons pour qui elle travaille, ni même quelles sont ses convictions: nous savons seulement que nul ne pourra l'en détourner.
CHANGEMENT DE PROGRAMME
Que dire encore du terrorisme? Pendant les six années qui ont suivi le 11 septembre, on a pu voir cette matière fictionnelle explosive (forcément) s'épuiser à nourrir différents types de récits, du feuilleton musclé (24) au thriller de reconstitution (Vol 93). Le premier projet de fiction de Julia Loktev semble être né dans le contrechamp de cette politique-spectacle, avec pour ambition de ramener l'extraordinaire à sa dimension terrienne: filmer une terroriste mais ne jamais parler de terrorisme – ce n'est pas le sujet. Day Night Day Night semble ainsi, dans sa première partie, creuser ce filon minimaliste dont, pour simplifier, depuis Elephant, l'art et essai use parfois jusqu'à l'abus. Effet connu: en limitant au strict nécessaire chaque étape de sa narration, Loktev donne au moindre des faits et gestes filmés un poids dramatique décuplé. Ainsi raréfiés, les mouvements, pourtant anodins (ongles coupés, pinces à cheveux glissées derrière les oreilles, vêtements neufs essayés, etc.), se font rituels et annoncent une solennité dont on redoute alors la potentielle pesanteur. Ces premières bobines semblent en effet s'en tenir au seul film-programme, ce que, d'ailleurs, la scansion et l'absence de ponctuation du titre ne démentent pas.
La riche idée de Day Night Day Night est justement de pervertir ce programme, sans pour autant y dénigrer: le dérèglement narratif, inattendu et soudain donc jubilatoire, ne s'accompagne pas d'un effet de dérèglement du dispositif. Il eut en effet été possible qu'au froid déroulé, à la rigueur précise d'une mise en scène circonscrite à une sphère dont une focale longue accentuait l'étroitesse, succède brutalement une hystérie formelle, censée s'accorder à la panique de l'héroïne. Il y a fort à parier qu'un tel choix eut sans doute, paradoxalement, enfermé le film en un étouffant système. Loktev, au contraire, a la bonne idée, en dépit de l'élargissement de la géographie (les murs gris bleu de la chambre d'hôtel tombent et la caméra est livrée aux flux multicolores de Time Square), de garder le cap, gardant l'œilleton rivé sur son héroïne. À un détail près: jusqu'alors suiveuse et collante, la caméra, maniée posément et avec expertise par Benoît Debie (génial et toujours plus respecté chef-opérateur, ayant notamment officié sur le Calvaire de Fabrice Du Welz), précède désormais l'héroïne (l'inconnue Luisa Williams, parfait mélange de détermination et d'animal apeuré), au risque de perdre sa proie dans la foule.
Sur la base de ce simple basculement – fermer la marche/ouvrir la marche – Loktev enchaîne d'électrisantes séquences d'errance et de détresse. Richement secondé en cela par une bande-son exemplaire et anxiogène à souhait, signée Leslie Shatz (ingénieur du son fétiche de Gus Van Sant depuis… Elephant), Day Night Day Night entraîne là dans un crescendo magistral, qu'une certaine malice nous pousserait à qualifier d'hitchcockien. C'est en effet à une réinvention du suspens que l'on assiste ici, de façon d'autant plus inespérée que le confort programmatique originel ne nous y avait pas préparé. Poussée subite d'adrénaline, qui plus est joliment résolue, cet habile climax, improvisé au tournage, laisse fiévreux. À son aune, les quelques longueurs et imperfections du film sont minorées. On souhaite à Loktev, pour son second film, d'avoir d'autres foudroyantes intuitions de ce tonneau.
En savoir plus
Day Night Day Night fut présenté à la Quinzaine des réalisateurs, lors du Festival de Cannes 2006.