The Darkside
En 2012, le réalisateur Warwick Thornton passe une annonce : quiconque a vécu une histoire surnaturelle, en lien avec l’histoire ou l’identité aborigène, est invité à venir lui raconter son expérience. Sur les 150 récits récoltés à l’époque, 13 ont été conservés.
NOS VIES SECRÈTES
Il y a cinq ans, le réalisateur australien Warwick Thornton remportait la Caméra d’or à Cannes avec son premier film, Samson et Delilah, un drame amoureux situé dans la communauté aborigène. Bien qu’ancré lui aussi dans l’histoire de la communauté, The Darkside se présente sous un jour très différent. A cette première fiction relativement classique succède ici une curiosité, à la fois stimulant mélange de vrai et de faux et grand livre d’histoires qui brouille les pistes à plus d’un niveau. En 2012, le réalisateur passe une annonce : quiconque a vécu une histoire surnaturelle, en lien avec l’histoire ou l’identité aborigène, est invité à venir lui raconter son expérience. Sur les 150 récits récoltés à l’époque, 13 ont été conservés. Certains sont effrayants (l’un d’entre eux vous fera passer l’envie de jouer avec une planche ouija), mais la plupart se révèlent étonnamment poignants dans leur manière de décrire en filigrane une histoire commune non-résolue, une identité aborigène faite de traumatismes et fantômes.
Toutes ces histoires sont vraies et entièrement surnaturelles. Mais toute histoire, même simples descriptions de faits, devient fiction à partir du moment où elle est racontée, c’est à dire transformée en récit. Que l’on croie ou pas à la véracité des faits n’a pas d’importance, tant ces récits possèdent une force narrative suffisante pour les rendre passionnantes. Mais la mise en scène minimaliste de Thornton sait aussi les mettre en valeur à travers des plans fixes, sans musique et sans effets, sur les intervenants récitant leur histoire. Sans reconstitution, The Darkside fait confiance au pouvoir du simple storytelling, et ces récits sont tellement dingues qu’ils n’ont pas besoin d’illustration. Et pourtant, on n’est pas ici dans la pure captation. La frontière du documentaire est franchie par un artifice qui n’est pas immédiatement dévoilé.
Cela n’est révélé qu’en générique de fin (sans que cela ne soit un spoiler), mais les protagonistes à l’écran sont en réalité tous des comédiens. Plutôt que de miser sur des reconstitutions, Thornton a au contraire demandé à des comédiens de rejouer les interviews. Un décalage surprenant qui, s’il peut au premier abord paraitre superflu, permet à certaines histoires de gagner en sous-texte et approfondir le propos du film. Faire raconter par une femme blanche l’histoire d’une jeune femme aborigène entrant en relation avec ses ancêtres massacrés par les Blancs, dessine en creux une relation amère et ambigüe entre les peuples. L’artifice est au départ strictement invisible et s’oublie entièrement. Il devient plus (trop) visible au fil du film, les dernières histoires étant un peu plus mises en scène, avec parfois un jeu un peu plus voyant et artificiel. L’ordre des chapitres de The Darkside fait que celui-ci se clôt sur son aspect le plus déroutant, sur le subterfuge assumé plutôt que sur la puissance de la narration. Peu importe, car ce recueil de contes conserve l’éclat des ses premiers récits, les plus minimalistes, ceux qui demeurent au final les plus crédibles et les plus marquants.
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The Darkside est diffusé ce vendredi 28 mars à 20h30 au Cinéma du Réel.