Dans ma peau
France, 2002
De Marina De Van
Scénario : Marina De Van
Avec : Marina De Van, Léa Drucker, Laurent Lucas
Durée : 1h33
Sortie : 04/12/2002
Lors d'une soirée chez des amies, une jeune femme se blesse à la jambe. Elle entretient dès lors une nouvelle relation à son corps...
MANGEZ-MOI, MANGEZ-MOI, MANGEZ-MOI
Premier film de Marina De Van (lire l'entretien), Dans ma peau est une oeuvre dense, âpre et surprenante. Réalisatrice et scénariste, De Van y incarne également le personnage principal, qui peut être vu comme une extension mature de celui qu'elle incarnait dans Sitcom. Sophie, jeune handicapée sado-masochiste dans le film de son comparse François Ozon, a quitté son fauteuil roulant mais n'y a pas laissé ses névroses. Au-delà de ce clin d'oeil spéculatif, Dans ma peau diffère très largement de Sitcom dans son traitement. Loin de la comédie acide du garnement Ozon, De Van signe un drame psychologique trouble, enfant de Trouble Every Day de Claire Denis et de Safe de Todd Haynes.
A l'amour dévorant (au sens propre du terme) mis en scène dans le film de Denis, où Béatrice Dalle mange littéralement ses amants, succède un amour non partagé. En effet, Esther va entretenir ses blessures jusqu'à se délecter de sa propre chair. Son corps est devenu un objet masturbatoire, meilleure expression du narcissisme amoureux de l'héroïne, son compagnon étant réduit au simple état d'accessoire qui ne lui suffit plus, malgré les efforts qu'elle déploie. Cette auto-antropophagie est aussi bien l'expression d'un mal-être urbain, mis en scène dans un flou d'une brume comparable à celui du film de Todd Haynes, où le personnage interprété par Julianne Moore est infecté d'une maladie sans qu'on ne sache jamais de quoi il s'agit. Il en va de même pour Esther: son mal fait naître une culpabilisation qui la force à se cacher pour assouvir ce désir neuf, faisant d'elle une mystérieuse marginale.
DANS MA PEAU, DEUX FEMMES HABITENT
Dès le générique, l'écran divisé en deux présente un univers urbain aliénant. La schizophrénie est au coeur des troubles d'Esther: son esprit et son corps co-existent, mais bien distinctement. Elle tente de se réapproprier un enveloppe qui ne lui appartient plus, jusqu'à imaginer que ses membres mènent une vie à eux (comme son avant-bras soudainement baladeur). La schizophrénie est servie par une mise en scène expressionniste, utilisant le split-screen qui dédoublera l'écran lorsque l'héroïne fera de même dans ses crises voraces. La mise en scène participe à la fascination naissante suscitée par cette plongée clinique, si autre mais si familière.
Voici là l'une des grandes réussites de Dans ma peau: celle de ne pas faire d'Esther une bête de foire, mais un personnage familier, dont le rapport au corps trouve un écho étonnamment banal lorsqu'après un long sommeil, un bras enkylosé semble appartenir à une autre personne. On se prend ainsi au jeu au point de s'identifier à ce qui semble être, vu de l'extérieur, un monstre. A l'image de l'excellente scène du restaurant, où la perte de contact d'Esther avec son environnement sonore est totalement partagée, sans user d'artifice: le son est constant, mais se transforme en enveloppe sonore indistincte à mesure qu'Esther nous invite dans sa peau. L'humanité du film de Marina De Van l'éloigne de l'exercice de style clinique, catalyseur de malaises divers: Dans ma peau est un voyage introspectif dont la profondeur est suggérée par le titre. Premier film ultra prometteur, maîtrisé formellement, à la richesse scénaristique des plus culottées, l'oeuvre de Marina De Van est un inattendu sommet de cette fin d'année. Vous ne mangerez plus jamais vos petites peaux d'ongle de la même façon.
En savoir plus
Marina De Van est une complice de François Ozon. Elle a ainsi co-écrit les scénario des Amants Criminels, de Sous le sable et de 8 Femmes, et a été dirigée par lui dans Regarde la mer et Sitcom.
François Ozon effectue un cameo dans le film, où il est...un maître nageur. Clin d'oeil à son prochain film, Swimming Pool?