Dans les champs de bataille
Maarek Hob
France, 2004
De Danièle Arbid
Scénario : Danièle Arbid
Avec : Laudi Arbid, Roger Assaf, Rawia Elchab, Marianne Feghali, Aouni Kawas, Carmen Lebbos
Durée : 1h30
Sortie : 29/12/2004
Beyrouth, 1983. Alors que la guerre gronde régulièrement sur un horizon de plus en plus proche, une famille se déchire, entre les dettes de jeu du père, les envies d’émancipation de la mère, le despotisme de la grand-mère, et le trouble adolescent florissant de la jeune Lina.
BATTLEFIELD EARTH
"De la fresque historique au documentaire à chaud, de l'approche frontale à l'incidence oblique, on recense une bonne demi-douzaine d'occurrences sur le conflit israélo-palestinien: La Porte du soleil, Mur, Atash, Fahrenheit 9/11, Dans les champs de bataille, Or et Notre musique, même si parfois l'association se fait par évocation ou ricochet. Dans le cas des films en provenance de cette zone sous tension, la question de la qualité intrinsèque des œuvres doit quasi systématiquement passer sous la toise du politiquement correct", écrivaient Philippe Azoury, Didier Péron et Olivier Séguret, dans Libération, à l’occasion du festival de Cannes 2004. Si la remarque n’est pas entièrement dénuée d’intérêt ni de vérité, on se permettra d’émettre quelques réserves quant à la présence du premier film de Danièle Arbid dans la liste. Il est urgent, au contraire, d’en oublier la provenance et de chasser les craintes classiques du didactisme entourant ce cinéma extrême-oriental. Les champs de bataille du titre relèvent davantage des terres intimes que du brûlot politique et, dans un sens, c’est tant mieux. Plutôt que de s’empêtrer dans la dangereuse complexité de son background, Arbid, à la manière d’une Satrapi de la pellicule, tisse le portrait passionnant d’une famille disloquée et de ses fossés générationnels.
PERSEPOLIS SOUS LES BOMBES
Au-delà du conflit israélo-palestinien, c’est donc un cinéma de pure fiction, qui se fait jour. Si velléité documentaire il y a, c’est davantage dans la reproduction des gestes du quotidien, des rites (au détour, notamment, d’une sublime scène d’adieu au défunt), qu’il faut aller la chercher. Et surtout dans une pertinence, une compréhension subtile des alchimies, tromperies, vacheries et troubles qui font le tissu sans cesse renouvelé des relations humaines. Une acuité sociologique qui touche au vrai lorsque la jeune réalisatrice, dans un mouvement autobiographique à peine dissimulé, se penche sur l’adolescence. Lina, douze ans, cette jeune fille qui sans cesse happe la caméra entre sa tignasse brune et ses lourds sourcils, est certainement l’un des plus beaux personnages que 2004 nous ait donnés à voir, rejoignant là, et sa complice Siham, de six ans son aînée, avec elle, les naïades rêches de La Niña Santa. La comparaison avec Lucrecia Martel ne s’arrête pas là: utilisation exemplaire du contre-champ, cadrages d’une étonnante maîtrise, ruptures de rythme, personnages-ogres, malaise suscité par le simple filmage… La Libanaise et l’Argentine partagent un même sens inné de la grammaire cinématographique et de ses richesses. Arbid, moins ascétique que Martel, s’autorisant une plus grande accessibilité (notamment dans un contre-emploi intelligent de la musique – des tubes guillerets des années 80, soudains rendus menaçants par la simple force d’évocation de l’image), n’en serait même que plus aimable. On peut toutefois pester contre les distributeurs, qui n’ont rien fait pour que ce beau premier film soit en mesure de toucher son public, le bazardant au beau milieu des fêtes de fin d’année, entre la dinde et le champagne.