Dans la ville de Sylvia
France, 2008
De José Luis Guerin
Durée : 1h24
Sortie : 10/09/2008
Un homme retourne à Strasbourg à la recherche de Sylvia qu'il a rencontrée quatre ans plus tôt. Cette quête se transformera en une déambulation dans les rues, et en une expérience esthétique. Une plongée dans l'intimité d'une ville et de ses habitants.
WOMEN IN THE STREET
Il faut bien convenir qu’il n’a jamais, à notre connaissance en tout cas, été vu (sauf traduction approximative) que le titre d’un film contienne une coquille. L’ampleur de la faute est bien trop énorme et le nombre de relecteurs trop important pour qu’elle puisse ainsi passer à l’as. On a également peu l’habitude (même si, en l’occurrence, ces choses-là arrivent de temps en temps) que le dossier de presse à son tour se trompe sur certains détails factuels. C’est pourtant bien ce qui arrive au premier long métrage de fiction de José Luis Guerin : pas de Sylvia dans Strasbourg, mais une Sylvie – ou pour le moins son fantôme, traqué au hasard des rues de sa ville. Quant au personnage qui la recherche dans les visages de chaque passante, il ne l’a pas perdue de vue depuis "quatre ans", ainsi que le prétend le résumé officiel reproduit ci-dessus, mais, de son aveu oral, depuis six ans. Avait-on tant bu chez Eddie Saeta, chez Château-Rouge, chez Shellac et chez Makna? La faute est donc volontaire : c’est que Dans la ville de Sylvia interroge la mémoire en désertion, l’approximation poétique, la fiction bricolée avec ce qui passe, le romanesque de l’étant-là – Sylvie, Sylvia, exotismes. De l’homme suivant l’été les sillages parfumés des actrices qui s’échappent du Conservatoire d’Art Dramatique, on apprend certes peu de choses, mais suffisamment pour le savoir du côté de la fiction. Il écrit, il invente, il projette, il dessine des femmes sans visages qu’il rehausse d’un "Elles", et chacune est une histoire, et chaque moue volée, chaque regard dérobé, une séquence possible. Les sens comme focale : est-il en repérages ?
De là certaines beautés, où José Luis Guerin donne dans un Tatisme de la romance : cadres comme espaces éphémères d’un doux pictural burlesque, où les superpositions de champ trichent (l’homme du premier plan ne semble-t-il parler avec la femme de l’arrière-plan ?), où les trajectoires se télescopent et se répondent, où les signes se répètent ; bruits de la ville tant indépendants que polyphoniques sans le savoir, apparaissant et disparaissant à l’envi de l’observateur, qui d’un concert de violons en terrasse fait un chœur tragique… De là aussi certaines limites. Le poids écrasant des intentions surtout : ce "Elles" griffonné, justement, comme une redite, ce formalisme surappuyé, cet air de Désespéré de Courbet que promène ostensiblement Xavier Laffitte, ces brunes et ces blondes attablées tous sourires, jeunes et jolies, déambulant en robe rouge de papier glacé… Il y a de la publicité pour la vie dans l’air et la tentation d’un système esthétique virant à l’artifice.
Dans son récent Woman on the beach, Hong Sang-soo prenait un parti, finalement assez proche, d’élégie des petites choses, de quête approximative du double, de défragmentation fictionnelle du monde. La solution esthétique prônée était une leçon de découpage et de montage : l’échelle des plans est autant celle des personnages que celle du monde. Ainsi, comme chacun dans ses interactions élargit ou restreint sa bulle intime pour accueillir des parties plus ou moins larges de l’espace et de son mouvement, Hong Sang-soo zoomait et dézoomait, comptant sur ce seul effet, habituellement proscrit, afin de faire varier dans un même plan les perspectives intimes. Pour des enjeux comparables, Guerin déploie l’artillerie lourde, allongeant parfois la sauce jusqu’à plus soif, abusant d’effets, de steadycam flottante, de sound design ostentatoire. Le meilleur du film réside dans ces moments précieux où la sophistication se fait oublier pour, disons, devenir organique (diégétique ?) : musicalité, partition, mouvement.
En savoir plus
Cette semaine sort également en salles En construcción, documentaire du même José Luis Guerin, tourné en 2001 dans un quartier de Barcelone en cours de réhabilitation. Si l’entreprise intrigue au premier chef, par ses motifs esthétiques avant tout, son découpage peu commun, relevant davantage de l’écriture fictionnelle que de la tradition documentaire, et ses cadrages inspirés, le film, qui alterne séquences intimes auprès d’habitants du quartier et avancement des travaux, se perd en banalités répétitives, au point de parfois prendre un recul pittoresque, presque moqueur et donc déplaisant sur ses personnages. Quelque légèreté manque ici à Guerin, qui enlise ses plans dans leur construction picturale et finit par les plomber, à trop vouloir en forcer le sens. Les deux heures cinq passent dès lors assez péniblement…