Court

Court
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
Court
Inde, 2014
De Chaitanya Tamhane
Durée : 1h56
Sortie : 11/05/2016
Note FilmDeCulte : *****-
  • Court
  • Court
  • Court

Le corps d’un ouvrier du traitement des eaux de la ville est retrouvé dans une bouche d’égout à Bombay. Narayan Kamble, chanteur folk et contestataire, est alors arrêté en plein concert, accusé d'avoir incité l’homme au suicide par l’une de ses chansons politiques et incendiaires. Un procès se met en place et s'enlise, de plus en plus labyrinthique et absurde. La cour de justice devient la caisse de résonance des tiraillements et des archaïsmes de l'Inde contemporaine...

AFFAIRE NON-CLASSABLE

En 1933, le musicien de jazz hongrois Rezso Serres compose Gloomy Sunday. Malgré le succès immédiat du morceau, de nombreux établissement de Budapest le bannissent presque immédiatement. La raison? L'air si mélancolique provoquerait des vagues de suicide chez ceux qui l'entendent. Aujourd'hui oubliée, la légende urbaine prête à sourire. C'est pourtant un argument semblable qui sert de point de départ à Court. Un vieux chanteur des rues contestataire se retrouve accusé d'avoir, malgré lui, poussé au suicide un ouvrier. Aucun témoin ne peut certifier que le mort a assisté à un des concerts du poète, et ce dernier ne se rappelle même plus des paroles qu'il a pu chanter ce jour-là. Il n'y a aucun élément pour étayer la supposition ridicule d'un homicide involontaire. Et pourtant le procès a bien lieu. La situation pourrait prêter à rire tant elle est absurde. Ou bien elle pourrait donner lieu à un exposé glaçant sur la liberté d'expression et sur une bureaucratie kafkaïenne. Court pourrait faire rire jaune ou pourrait au contraire émouvoir avec un sentiment d'injustice éprouvant. Il n'en est rien, car Court est unique, et possède son ton bien à lui. Le résultat est tellement puissant et imprévisible qu'il faut se pincer pour croire que le réalisateur n'a que 29 ans, et qu'il s'agit de son tout premier long métrage.

Court n'est pas un film de procès. Certes, on y suit l'évolution de l'affaire en question, mais seulement en filigrane. On ne s'en rend pas forcément compte immédiatement, mais les enjeux du film sont ailleurs, et se révèlent plus ambitieux que cette histoire folle de chanson qui tue. D'ailleurs le poète (dont on pouvait estimer qu'il serait le protagoniste du film) se retrouve rapidement évacué, et on ne le reverra qu'à la toute fin. De fait, les scènes les plus incroyables de Court sont celles qui ne concernent pas le procès (pourtant haletant), où la caméra quitte la salle de tribunal. On y suit séparément chacun des protagonistes dans leur vie quotidienne. Ces scènes sont stupéfiantes car, alors qu'elle n'ont l'air d'avoir aucun rapport avec l'intrigue principale et qu'elles semblent dénuées d'enjeu (l'avocat dîne avec ses parents, le juge part en vacance...), elles finissent par former le portrait éclaté d'une société incroyablement codée et complexe, presque folle.

Court nous montre une Inde quotidienne, mélangeant (c'est rare) différentes classes sociales, avec comme fil rouge une difficulté à communiquer malgré les meilleures intentions. C'est toute la société indienne qui est convoquée à la barre, appelée à répondre de ses contradictions violentes. Grâce à ces scènes, entre autres, Chaitnaya Tamhane parvient à faire ce que peu de cinéastes maîtrisent : communiquer l'idée de violence, sans pour autant jamais montrer de violence à l'écran. Ici, pas de larmes, pas de cris d'injustice : dans Court, la vie continue comme avant, comme si cette absurdité était banale, et c'est peut-être ça le pire.

par Gregory Coutaut

Commentaires

Partenaires